Des contes et des hommes

Variation cochonne

Mon animal favori
Est le cochon, sans contredit.
Le cochon est charmant, il est intelligent,
Le cochon est courtois. Il est vrai cependant
Qu’il arrive parfois (quoique pas très souvent),
Que l’on tombe soudain sur un cochon dément.
Quelle serait votre réaction, s’il vous plaît,
Si un jour, vous promenant dans la forêt,
Vous tombiez nez à nez au détour d’un chemin
Ou plutôt nez à groin sur un cochon
Qui se serait construit une maison en paille?
Un jour, un loup, gaillard assez canaille,
Tombe sur la maison de paille du cochon bon garçon.
« Ouvre-moi la porte, cochon, cher cochon!
– Nenni, non, par ma barbichette !
– Alors je vais souffler, cogner et défoncer ta maisonnette ! »
Le petit cochon fit sa prière,
Mais sa maisonnette vola en poussière.
Le loup s’exclama: « Bacon, rôti et jambon!
J’ai vraiment une veine de cochon! »
Et, bien qu’il mangeât comme un glouton,
Il garda pour la fin la queue en tire- bouchon.
Le loup traîna un peu, l’estomac ballonné
Et, surprise des surprises, il tomba peu après
Sur une autre maison de cochon
Qui était faite de joncs.
« Ouvre-moi la porte, cochon, cher cochon!
– Nenni, non, par ma barbichette !
– Alors je vais souffler, cogner et défoncer ta maisonnette!
Bon, allons-y! » dit le loup.
Et il souffla comme un fou.
Le petit cochon poussa les hauts cris :
«Loup, tu as déjà mangé aujourd’hui!
Pourquoi ne pas parler et s’arranger? »
Le loup répondit: « Tu peux repasser! »
Et le petit cochon bientôt fut dévoré.
Deux succulents petits cochons! glapit le loup.
Et pourtant je ne suis pas rassasié du tout!
Je suis un peu ventripotent,
Mais c’est si bon d’être gourmand! »
Dents pointues, babines retroussées, Et, silencieux comme un chat,
D’une autre maison le loup s’approcha.
À l’intérieur, terrorisé,
Un autre cochon se cachait.
Mais ce troisième petit cochon
En avait dans le citron.
À la paille, aux joncs, il faisait la nique:
Il avait construit sa maison en briques.
« Tu ne m’auras pas! s’écrie le cochonnet.
– Je vais souffler, cogner, taper et ta maison défoncer!
– Il te faudra beaucoup de souffle,
Et tu n’as rien dans les poumons! »
Le loup vexé tape du pied, cogne et souffle,
Impossible de renverser la maison!
« Si je ne peux pas la fiche par terre,
Dit le loup, je la fiche en l’air!
Je reviens cette nuit, et pffuitt !
Je la fais sauter à la dynamite!
– Espèce de brute sans cœur! J’aurais dû m’en douter! »
S’écria le cochon, prenant le combiné.
Et aussi vite qu’il put, il composa trois zéros
Du Chaperon Rouge le numéro.
« Allô! dit-elle, qui est là?
– Cochonnet! Comment va ?
J’ai besoin de toi, ma chère Chaperon,
Je t’en prie, aide-moi, implora le cochon.
– Si je peux t’aider, ce sera volontiers.
– C’est une affaire de loup, ta grande spécialité !
Il est devant chez moi! Je n’attends plus que toi!
– Mon chéri, dit -elle, mon mignon,
Ça, c’est tout à fait mon rayon.
Je me sèche les cheveux en un instant,
Et j’arrive en deux temps trois mouvements! »
Quelque temps après,
Chaperon arrive dans la forêt.
Qui l’attend au coin du sentier?
Le loup au regard de braise
Un filet de bave au coin de la gueule.
Une fois encore, la donzelle battit des paupières
Et de son pantalon, sortit un revolver.
Une fois encore, elle visa à la tête
Et d’un seul coup extermina la bête.
À la fenêtre, le cochon
S’écria: « Bravo, Chaperon! »
Ah ! Cochonnet, imprudemment tu te fiais
Aux demoiselles de la bonne société.
Car depuis lors, notre redresseur de torts
Outre ses deux manteaux de loup possède encore
Pour porter ses affaires dans les aéroports
Un superbe sac, un sac en peau de porc!

Roald Dahl.
Un conte peut en cacher un autre.
Folio, 2010.

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