Des contes et des hommes

Les trois petits cochons

LES TROIS PETITS COCHONS

LA VERSION ORIGINALE

Une truie avait trois petits. Le premier était stupide et ne songeait qu’à se rouler dans la boue. Le second était naïf et ne pensait qu’à manger. Seul le troisième était malin. Un matin, la Truie réunit les trois petits cochons et leur dit:

La porcherie commence à être étroite pour nous quatre. Vous êtes en âge de vous débrouiller seuls et voici venu le moment de nous séparer. Allez de par le monde et, surtout, prenez bien garde au Loup qui est notre principal ennemi.

Les Trois Cochons embrassèrent leur mère et s’en allèrent. Chemin faisant, le premier rencontra un homme qui transportait une botte de paille.

Donne-moi un peu de paille, lui dit-il. J’en ai besoin pour construire ma chaumière. L’homme accepta. Le cochon le remercia et construisit une maison dans laquelle il s’enferma. Durant la nuit, survint le Loup qui frappa à la porte.

Ouvre-moi, dit-il. Il fait très froid dehors et je voudrais bien me réchauffer.

Non ! répondit le cochon.

Dépêche-toi d’ouvrir, grogna le Loup. Sinon je soufflerai et ta maison s’envolera. Le cochon refusa d’ouvrir. Le Loup souffla si fort que la chaumière fut balayée. Il se jeta alors sur le cochon et le dévora.

Le second rencontra un homme qui portait un fagot.
Peux-tu me donner un peu de bois ? lui demanda-t-il. J’en ai besoin pour construire une cabane. L’homme donna quelques branchages à l’aide desquels le cochon fit une maison. Pendant la nuit, le Loup arriva et cogna à la porte.

J’ai froid, déclara-t-il. Ouvre-moi que je me réchauffe un peu.

Non ! Passe ton chemin, répondit le Cochon.

Si tu refuses, dit le Loup, je soufflerai et ta cabane s’envolera. Le Cochon garda sa porte fermée. Alors le Loup souffla très fort et la maison fut balayée. Il bondit sur le Cochon et le croqua.

Le troisième rencontra un homme qui transportait des briques.

J’ai besoin de briques pour construire ma maison, lui dit-il. Aurais-tu la bonté de m’en donner quelques-unes ? L’homme lui donna de quoi construire une maison. Le Cochon se mit à l’oeuvre sans attendre et eut tôt fait de terminer. Au cours de la nuit, le Loup vint gratter à la porte.

Laisse-moi entrer, dit-il. Il fait si froid dehors que je vais finir par mourir.

Je ne t’ouvrirai pas, répondit le Cochon.

Ouvre-moi, insista le Loup, sinon je soufflerai et balaierai ta maison. Le Cochon n’ouvrit pas. Le Loup prit sa respiration et souffla. La maison ne s’envola pas. Il souffla encore, mais en vain. Le Cochon éclata de rire en l’entendant.

N’insiste pas, lui dit-il. C’est inutile, car ma maison est solide.

Je connais un endroit, dit alors le Loup, où poussent de bons navets.

Où donc ? demanda le Cochon avec intérêt.

Près d’ici, dans la ferme voisine, déclara le Loup. Je viendrai te chercher demain matin afin de t’y conduire. Nous ferons un bon repas et nous lierons d’amitié.

D’accord ! dit le Cochon. Mais vers quelle heure viendras-tu?

Vers sept heures, dit le Loup. Le lendemain, le Cochon se leva très tôt et partit sans attendre le Loup. Il ramassa un plein sac de navets et rentra chez lui. Le Loup arriva à sept heures précises.

Es-tu prêt à m’accompagner ? demanda-t-il.

Non ! dit le Cochon.

Aurais-tu changé d’avis ?

Tu es en retard, expliqua le Cochon. J’ai eu le temps de cueillir plusieurs sacs de navets et de revenir avant que tu daignes te montrer. La prochaine fois, tâche de te réveiller à l’heure. Le Loup comprit que le Cochon se moquait de lui. Cela le rendit furieux. Mais il ne le montra pas

Non loin d’ici, près de la rivière, dit-il, se trouve un grand pommier. Nous pourrions y aller demain vers sept heures.

C’est d’accord ! dit le Cochon. Le lendemain, ce dernier se leva à cinq heures et n’attendit pas le Loup. Il se rendit jusqu’au pommier, y grimpa et commença la cueillette des fruits. Il s’apprêtait à descendre de l’arbre quand il vit arriver le Loup.

Tu es parti sans m’attendre ! s’exclama celui-ci. Et ces pommes, comment sont-elles ?

Excellentes, répondit le Cochon. Il faut que tu les goûtes. Et il lui en envoya une. Surpris, le Loup laissa échapper la pomme. Elle rebondit sur le sol et roula parmi de hautes herbes. Pendant que le Loup essayait de retrouver le fruit, le Cochon sauta du pommier et se réfugia rapidement chez lui. Quelques jours plus tard, le Loup alla encore chez le Cochon.

– Pourquoi es-tu parti aussi vite, l’autre jour, pendant la cueillette des pommes ? demanda-t-il.

J’ai dû rentrer parce que j’avais laissé ma soupe sur le feu, expliqua le Cochon.

Demain, c’est jour de marché, dit ensuite le Loup. Je propose que nous nous y rendions ensemble.

A quelle heure ? demanda le Cochon.

Je passerai te chercher vers onze heures, répondit le Loup.

A demain ! Le lendemain, le Cochon partit au marché sans attendre le Loup. Il aimait beaucoup le beurre et il s’acheta une baratte afin d’en fabriquer lui-même. Puis il prit le chemin du retour. Arrivé en haut d’une colline, il aperçut le Loup. Comment faire pour lui échapper ? Le Cochon sauta dans la baratte. Il ferma rapidement le couvercle. Dans sa hâte, il fit basculer la baratte qui se mit à dévaler la côte. Elle roula en prenant de la vitesse. Le Cochon était effrayé et hurlait à l’intérieur. Le Loup crut apercevoir quelque monstre et prit immédiatement la fuite. Au bout d’un moment, comme il n’entendait plus aucun bruit, il osa enfin se retourner. Il aperçut la baratte devant la maison du Cochon. Ce dernier en émergea, fit quelques pas en titubant et rentra chez lui. Le Loup entra dans une colère terrible. Il s’approcha de la maison du Cochon.

Je vais te dévorer ! hurla-t-il.

Tu n’y parviendras jamais, ricana l’autre.
Le Loup réfléchit. Au bout d’un moment, il grimpa sur le toit de la maison afin d’y pénétrer par la cheminée. Mais le Cochon avait mis de l’eau à bouillir dans un gros chaudron. Dès qu’il entendit du bruit sur le toit, il attisa le feu et enleva le couvercle du récipient.

Le Loup se glissa dans la cheminée et tomba dans l’eau bouillante. Le Cochon remit alors le couvercle sur le chaudron. Il laissa cuire le Loup tout l’après-midi et le mangea pour son dîner.

Jean Muzi.
Dix-neuf fables du méchant loup.
Castor Poche Flammarion, 1987.

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