
Oligarchie et ploutocratie
404 avant notre ère. Un groupe d’hommes puissants, richissimes, s’emparent du pouvoir à Athènes à la faveur du chaos consécutif à la défaite militaire contre Sparte. Ces « Trente Tyrans » s’imposent grâce au soutien de l’ennemi, avec lequel ils partagent une haine profonde de la démocratie. Bientôt, ils se réserveront les pleins pouvoirs, mettront fin à toute liberté, élimineront toute forme d’opposition. Les Trente mettent à mort mille cinq cents citoyens, usant de la ciguë pour des raisons essentiellement pratiques. Ils instituent l’oligarchie, qui sera renversée sept ou huit mois plus tard. Selon l’historienne de la Grèce antique Dominique Lenfant, l’oligarchie se définit comme « une élite de l’argent bien spécifique, qui détient une forme de pouvoir, même si celui-ci n’est pas directement politique et officiel, mais plutôt économique et fondé sur la connivence avec les dirigeants ».
Oligarques et oligarchie ont navigué dans l’histoire depuis deux mille cinq cents ans. Dans l’éditorial du premier numéro de L’Humanité en 1904, Jean Jaurès dépeignait « la lutte de l’oligarchie capitaliste et du prolétariat ». Quelques décennies plus tard, en 1942 et dans la clandestinité, Jules Isaac, sous le pseudonyme de Junius, mettait un point final à son livre Les Oligarques : essai d’histoire partiale, qui sortira aux Éditions de Minuit en 1945. Pour l’historien, à nouveau, un groupe d’antidémocrates avait profité d’une défaite militaire pour s’emparer du pouvoir et le confisquer.
Dans les temps les plus récents, le terme « oligarques » nous projette en Russie au début des années 1990, dans les premières années de sa transition post-communiste, quand des petits malins accaparent des pans entiers d’une économie à bout de souffle, minée par des privatisations bâclées. Sur ce sujet, il faut voir le film de Pavel Lounguine Un nouveau Russe, sorti en 2002. Une fois encore, l’oligarchie prospère sur la crise de la démocratie et précipite sa chute. Vladimir Poutine n’est-il pas l’oligarque en chef, l’un des hommes les plus riches du monde, dirigeant avec un petit groupe d’acolytes une démocratie qui n’en a que le nom ?
Et voilà que l’on parle des oligarques aux États-Unis, aujourd’hui. Dans son discours d’adieu à la nation, mi-janvier 2025, le vieux président Joe Biden a alerté, comme Dwight Eisenhower en son temps l’avait fait au sujet du complexe militaro-industriel : « Une oligarchie prend forme en Amérique, faite d’extrême richesse, de pouvoir et d’influence, qui menace déjà notre démocratie entière, nos droits élémentaires, nos libertés, et la possibilité pour chacun d’avoir une chance équitable de s’en sortir. » Et quelques jours plus tard, comme pour lui donner raison, Donald Trump plaçait au premier rang de son investiture, juste derrière lui, certains des hommes les plus riches du monde : ils sont le sujet de ce livre.
Dans L’Heure des prédateurs, son formidable et effrayant essai paru en avril 2025 chez Gallimard, Giuliano da Empoli écrit à leur sujet : « Les nouvelles élites technologiques, les Musk, les Zuckerberg, n’ont rien à voir avec les technocrates de Davos. Leur philosophie de vie n’est pas fondée sur une gestion compétente de ce qui existe, mais plutôt sur une sacrée envie de foutre le bordel. L’ordre, la prudence, le respect des règles sont frappés d’anathème par ceux qui se sont fait la main en allant vite, en brisant les choses, selon la devise de Facebook. »
Alors… Qui sont ces gens qui veulent « foutre le bordel », qui veulent abattre la démocratie, et qui nous haïssent, nous, les Européens, qui l’incarnons ? Vous lirez ici quatre portraits, biographiques et intellectuels. S’y ajoutent ceux de Donald Trump et de J. D. Vance, le vice-président américain. Parce que si ces oligarques ont aujourd’hui autant de pouvoir, c’est qu’ils ont des relais, voire des porte-voix, à la Maison-Blanche.
Bienvenue dans le monde d’aujourd’hui.
Snégaroff, Thomas & Corbé, Philippe.
Les nouveaux oligargues.
Les arênes, 2025.



