Extraits philosophiques

Aventure

Aventure
Le mot est tellement galvaudé que je n’ose même plus le prononcer. Celui qui part faire une promenade en VTT a le sentiment aujourd’hui de « partir à l’aventure ». C’est dire ! Selon moi, l’aventure doit comporter un risque physique, elle est à ce prix. Sans quoi, elle ne peut porter le nom d’aventure. Aujourd’hui, oui, il est aventureux de traverser l’Afrique en voiture, d’aller dans le Grand Sud avec un bateau sans météo – sans données météorologiques.
Autrement formulé, c’est parce qu’il y a risque physique qu’il y a aventure, sans quoi elle est vaine, non avenue.
Durant les premiers tours du monde effectués avec Tabarly, nous n’avions pas de données, personne n’était passé là depuis l’ouverture du canal de Panama, aucune donnée depuis 1914. Quand nous naviguions sur ces mers en 1971, 1973, cela faisait soixante ans que personne n’avait exploré ces chemins. Nos seuls repères étaient les livres de bord des capitaines cap-horniers. Et c’est tout. Là, pour le coup, c’était aventureux. Les données météo n’existaient pas. Nous avions la climatologie, pas la météorologie. On savait que certains navires avaient tenté de passer le cap Horn un mois de suite en tirant des bords et, en désespoir de cause, étaient repartis vent arrière pour l’Australie. On savait encore qu’il y avait eu grand nombre de naufragés dans ces zones. Pour le reste, rien ou si peu.
Le risque physique est intéressant car il est vraiment capable de surprendre. Si on va photographier des hippopotames, seul, sur les rives d’une rivière africaine, c’est vraiment aventureux car, si ça se fâche, c’est l’animal qui tue le plus. Si l’aventure, c’est rater son train de 18 heures pour rentrer en stop, c’est rien.
Devient aventure tout ce qui n’est pas dans la norme régulée.
L’aventure, ce fut du sur-mesure pour mon cerveau.

Olivier de Kersauson.
De l’urgent, du presque rien et du rien du tout
Le Cherche Midi éditeur, 2020.

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