Vieillir ?
Vieillir n’est pas facile.
On a beau masquer comme on peut la mauvaise image que nous avons de la vieillesse, changer les mots, parler de « longévité » pour contourner le mot qui fâche, vieillir est encore synonyme de naufrage. Avec son cortège inévitable de pertes et de diminutions.
La sémantique reste importante. Elle envahit la publicité antiâge qui montre à quel point vieillir est interdit.
Ceux qui prennent de l’âge ne s’y trompent pas : il faut lutter contre ce fléau, rester jeune à tout prix. Le jeunisme – et son corollaire l’âgisme1 – a encore de beaux jours devant lui.
Qui n’a pas été choqué, il y a quelques années, par la campagne de publicité de Virgin Radio, que j’ai découverte placardée sur les autobus parisiens. Elle montrait des corps d’adolescents artificiellement vieillis, les rendant particulièrement laids et repoussants. Et son slogan sous forme d’injonction : « Ne vieillissez pas trop vite ! » Les réactions à cette manifestation âgiste n’ont pas tardé, et les affiches ont été rapidement enlevées. Mais le mal était fait. La vieillesse était cruellement désignée comme une réalité à éviter, du moins à retarder autant que possible.
Pourtant, nombre de témoignages de personnes vieillissantes montrent que vieillir peut être une expérience intéressante, que l’on peut arriver à un âge avancé en ayant encore le goût de vivre et d’apprendre. Il est possible de vieillir heureux.
Dire que vieillir est une chance, à condition de rester autonome, en bonne santé et d’avoir des moyens financiers importants, est certes vrai. Mais ce n’est pas tout à fait exact, car vieillir heureux dépend d’autre chose que de la richesse et de la santé.
Tout est donc une question d’état d’esprit.
L’image que nous renvoie la société, celle que nous nous sommes forgée nous-mêmes du vieillir, est si déficitaire, si négative, si moche que le changement de regard sur l’avancée en âge exige un véritable retournement.
« Comment en sommes-nous arrivés là ? Vraiment ? Quel manque d’imagination ! » s’est écriée Ariane Mnouchkine devant deux cents citoyens de plus de 60 ans, rassemblés au Théâtre du Soleil pour le lancement du CNaV2 en février 2022. « C’est à vous, à votre génération », a ajouté la femme de théâtre de 83 ans, de « nourrir l’imagination de vos enfants et petits-enfants, et de montrer que le mot vieux n’est pas synonyme de rebut, que vieillir, c’est autre chose. »
Vivre son avancée en âge comme une aventure et non comme un désastre est un enjeu sociétal majeur. Il s’agit bien d’un enjeu, celui de la cohésion sociale de notre société vieillissante. Imaginons une seconde que la génération des boomers reste dans l’angoisse et le déni du vieillir, entretienne ses illusions jeunistes, puis, quand elle aura compris qu’il est vain de vouloir rester jeune à tout prix, sombre brutalement ou progressivement dans le désespoir ! Nous aurions dans dix, quinze ans toute une population dépressive qui pèserait lourd sur les générations plus jeunes. Le poids du vieillissement de la société n’est pas seulement financier et économique, puisque l’allongement de la vie devrait permettre de générer des emplois et une « silver économie ». Nous pouvons en revanche redouter un poids psychologique. Que feraient nos enfants si tout un pan de la population perdait un jour le goût de vivre ? Comment réagiraient-ils si leurs parents âgés ne trouvaient plus aucun sens à leur existence et vieillissaient dans le tourment ? Ne risquons-nous pas, alors, de voir émerger une épidémie de suicides assistés, surtout si, d’ici là, notre loi l’autorise ?
Dans un superbe article intitulé « Je suis vieille et je vous emmerde3 », Laure Adler s’exprime sur son expérience de l’âge. Refusant que la vieillesse soit abordée par le prisme du déclin et de la tristesse, elle clame qu’elle est heureuse de vieillir : « Vieillir, c’est accueillir ce qui vous arrive dans l’intensité d’un présent qui, autrefois, vous était dérobé par le vacarme du monde, le tourbillon des projets, le songe des désirs inavoués. […] Une sorte d’acceptation des choses, de l’inattendu, une disposition à être là, juste là. »
L’aventure de vieillir.
Marie de Hennezel.
Versilio, 2022.