Extraits philosophiques

Tout va bien

Peut-être que finalement
tout va bien?
Hier, je me suis réveillé tôt. J’étais dans un lit bien chaud, sous des draps propres. Je me suis levé et mes jambes me portaient. Elles obéissaient au moindre de mes désirs. Elles m’ont emmené dans la salle de bain. J’ai ouvert le robinet et j’ai adoré cette eau propre qui coulait en abondance. J’ai regardé en face de moi et j’ai vu mon visage. Une fois encore, le miroir accomplissait sa tâche de manière exemplaire. Je bougeais et mon reflet bougeait. Comme si nous n’étions qu’un. Je suis entré dans la cabine de douche et j’ai fermé la porte vitrée. Ce petit espace clos embaumait le savon – une odeur mordante. J’ai adoré sentir l’eau chaude sur mon corps, un bon moment. Il n’y a pas de mots pour décrire cette sensation. Une serviette moelleuse m’attendait sur le radiateur. Je m’en suis enveloppé. J’ai marché pieds nus sur la moquette. Cette fois-ci, mes jambes m’ont conduit à la fenêtre. Je me suis arrêté un instant. Les gouttes d’eau qui ruisselaient à l’extérieur ne rentraient pas à l’intérieur. Je les voyais couler lentement et s’unir les unes aux autres à des carrefours inattendus. J’ai profité du spectacle quelques minutes. Un vrai luxe. J’ai choisi les vêtements que j’allais porter. Il y en avait d’autres dans l’armoire, j’ai pu choisir. Je me sentais bien. J’ai ouvert le frigo. Là aussi, que de choix! J’ai préparé mon petit-déjeuner, j’ai pressé trois belles oranges. Le presse-agrumes a accompli son petit miracle quotidien. Je n’ai eu qu’à appuyer. Je me suis régalé de ce jus sucré jusqu’à la dernière goutte. Je me suis ensuite préparé à sortir et j’ai fermé la porte. Cette porte ne s’ouvrira qu’à mon retour, avec ma clef à moi. Comme par magie. Aucune autre clef ne peut l’ouvrir.
Cette fois, mes jambes m’ont emmené jusqu’à la voiture. Pas la moindre erreur. Exactement là où je voulais. Bingo. Et, oui, j’ai une voiture rien qu’à moi, qui ne s’ouvre qu’avec ma clef, elle aussi. Le moteur a démarré facilement, au quart de tour. J’ai choisi de ne pas allumer la radio. De nouveau, j’ai eu le choix. Le midi, j’ai fait une pause, je suis entré dans un snack et j’ai commandé une salade. En attendant qu’on me l’apporte, j’ai regardé le spectacle de la rue.
Mes yeux voyaient.
Tous les yeux n’ont pas la chance de voir, vous savez.
J’ai vu des visages joyeux et d’autres beaucoup moins. J’ai vu des gens pressés et d’autres qui flânaient. Partout, je voyais des choses. Je voyais des couleurs. Ma salade n’a pas tardé à arriver. On me l’a servie dans un grand bol propre, plein de laitue, de délicieux croûtons, avec du fromage fraîchement râpé et du poulet chaud. Elle coûtait cinq euros. Et j’avais cinq euros. Je les ai sortis de ma poche et j’ai payé. J’ai aussi un téléphone portable. J’ai envoyé des messages, je me suis connecté à Internet, j’ai lu les nouvelles du monde. Facebook m’a rappelé l’anniversaire d’un bon ami. Je l’ai appelé, ça faisait drôlement longtemps. Ça nous a fait plaisir à tous les deux.
Le soir, je suis rentré chez moi. Mes yeux continuaient de voir, mes jambes continuaient de me porter, mes mains m’obéissaient. Je vis dans un beau pays baigné de soleil. Un pays en paix. Je sais que demain ma maison sera toujours à sa place. Elle n’aura pas été réduite à néant par une bombe perdue. Dans mon pays, nous avons même la démocratie. Je peux dire ce que je veux, où je veux et quand je veux. Je peux être dehors après 22 heures. Je peux aller courir, je peux regarder la télévision, je peux lire, je peux ne rien faire. Je peux voir un ami ou rester seul. Je peux sourire, je peux faire ce que je veux. C’est moi qui choisis.
J’ai ouvert la porte de ma maison. La clef a accompli sa mission, comme d’habitude. Sans se plaindre, sans faire d’histoires. Mon lit douillet et mes draps propres étaient là où je les avais laissés.
Hier, je n’ai pas réglé les problèmes de ma vie. Hier, la question du deuxième mémorandum sur la dette de la Grèce n’a pas été résolue, celle du conflit chypriote non plus. Mais c’était une belle journée.
Et je parie que demain aussi mes jambes céderont à tous mes caprices.
Peut-être que finalement tout va bien?

Stefanos Xenakis.
Chaque jour est un cadeau.
Edito, 2022.

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