Pays noir
Le pays noir.
Comment décrire Warzipont? Imaginez une ville moyenne, déposée dans les premières années du XIXe siècle au milieu d’une plaine. Voyez cette campagne lisse et plane ,après qu’elle a été éventrée par des hommes avides d’en exploiter les entrailles charbonneuses. Regardez, au milieu du Pays noir, les alignements rectilignes faits de maisons basses érigées en étoile à partir du centre minier où s’élèvent les chevalements comme autant d’arbres morts. Ajoutez, encerclant cette géométrie industrielle, les crassiers qu’un siècle d’exploitation des mines a élevés en collines hautes et noires, aujourd’hui parsemées d’une végétation verte, blanche ou jaune, suivant les saisons et la hauteur des bouleaux qui y sont les plus fréquents. Achevez ce panorama en y disposant des immeubles modernes jetés par-ci par-là pour loger une population aujourd’hui au chômage. Complétez l’ensemble par un écheveau serré de routes et de viaducs qui se déroulent depuis le boulevard circulaire et l’autoroute dont on entend constamment la rumeur. Vous pourrez alors imaginer à quoi ressemble Warzipont, la ville noire.
Des collines de poussière de charbon élèvent leurs mamelons à l’horizon. Les jours de pluie, si le cafard ne vous étreint pas l’âme lorsque vous contemplez leur alignement au milieu des ruines industrielles, c’est que votre cœur a cessé de battre, ou que vous faites partie de ces cohortes de mineurs qui ont extrait de terre les tonnes d’anthracite dont les déchets sont les seuls vestiges dans le paysage … et vous les regardez à présent, avec la mémoire nostalgique qui gomme les anciennes souffrances et ne laisse à la surface de la mémoire que les moments de camaraderie, de solidarité contre le patron, de lutte pour la dignité. Mais si vous n’appartenez pas à l’une de ces deux catégories et que vous vous attardez devant ces taupinières géantes d’anthracite et de houille, alors seuls la tristesse et l’accablement viendront hanter votre cœur déprimé.
Jean Jauniaux.
Belgiques.
Ker Éditions, 2019.