Extraits philosophiques

Docteur House

Greg House ou le problème de la recherche de la vérité

La raison et le réel
La vérité
« I’m sure this goes against everything you’ve been taught, but right and wrong do exist »

« Everybody lies »

Quand il ne regarde pas la télévision dans la chambre d’un patient plongé dans le coma, quand il ne sème pas la panique dans la salle d’attente des consultations, ou quand il n’essaie pas de fuir le Dr Cuddy, la directrice de l’hôpital, en se réfugiant dans les toilettes, on trouve habituellement le Dr House dans sa salle de réunion ou dans son bureau, en train de tenter de poser un diagnostic avec ses trois collègues: les Drs Cameron, Chase et Foreman. Malgré ses baskets colorées, ses chemises pas repassées et son addiction aux antidouleur, le docteur Gregory House est ainsi à la tête du service de médecine interne de l’hôpital de Princeton-Plainsboro. Chaque épisode est l’occasion pour cette fine équipe de résoudre un cas énigmatique à l’issue d’argumentations contradictoires passionnées sur la mystérieuse cause de symptômes apparemment toujours plus incompatibles les uns avec les autres. Les répliques fusent à une vitesse folle, mêlant jargon médical et répliques cinglantes. Mais bien que son action se déroule dans un hôpital et que les personnages principaux soient tous médecins, Dr House n’est pas une série médicale comme les autres. Puisque « tout le monde ment », comme le répète souvent Greg House, pourquoi la série ne mentirait-elle pas, elle aussi, sur son véritable visage? De fait, il n’est pas question dans cette série de se servir du cadre hospitalier pour refléter un état de la société comme dans Urgences, et il ne s’agit pas non plus de présenter la maladie et la mort comme les étapes d’un passage à l’âge adulte comme dans Grey’s Anatomy. Non, dans cette série, le contexte médical n’est qu’un prétexte pour mettre en scène la grande aventure de la recherche de la vérité.

Tous les épisodes commencent en effet dans le mensonge et tous s’achèvent, avec la découverte du bon diagnostic, par l’établissement de la vérité. Les mensonges sont de plusieurs sortes, il y a ceux, délibérés, des patients eux-mêmes, qui nécessitent souvent de véritables interrogatoires et de véritables investigations. Il n’est pas rare en effet, de voir Chase, Foreman ou Cameron quitter leur blouse blanche et aller perquisitionner chez les patients. Mais dans un autre sens « Everybody lies» peut s’entendre « Every body lies »/« tous les corps mentent ». Les mensonges que House doit affronter sont aussi ceux que la maladie énonce à travers le corps, sous la forme de symptômes tous plus énigmatiques les uns que les autres. Le travail de House et de son équipe consiste à ne pas tomber dans ces pièges et à résoudre l’énigme en établissant le bon diagnostic, c’est-à-dire en énonçant la véritable cause de ces symptômes. La tâche est d’autant plus difficile que, bien souvent, les deux types de mensonges s’entretiennent l’un l’autre: les mensonges des patients sont souvent la cause de symptômes singuliers. Greg House n’est donc pas d’abord un médecin; il ne veut pas d’ailleurs qu’on le considère comme tel. Il n’est pas là pour prodiguer des soins, écouter, ou faire preuve de compassion. Son unique problème c’est de détruire ce qu’il ne supporte pas: le mensonge. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles il voit si peu ses patients: « If you don’t talk to them, dit-il, they can’t lie to us and you can’t lie to them ».

Dr House, est donc, au fond, une série sur le problème de la vérité et de sa lutte contre le mensonge. Le cadre hospitalier n’est là qu’à titre de métaphore pour dramatiser l’enjeu de sa recherche: de la même manière que la vérité sauve du mensonge, le diagnostic sauve de la maladie et permet la guérison. Mais comment, précisément, Greg House pose-t-il ses diagnostics? Comment parvient-il à cette vérité qui permet de sortir du mensonge?

Le problème de la connaissance

La vérité n’est pas donnée, elle n’est pas une évidence qui s’impose et que tous peuvent reconnaître en ouvrant les yeux. Au contraire, l’évidence initiale, ce qui est donné, c’est plutôt le conflit des opinions, des impressions et des mensonges. Pour celui qui recherche la vérité, il s’agit alors de commencer par refuser cette première version du réel. Après la reconnaissance du problème, il faut donc suivre une démarche méthodique pour construire la vérité, ou dans le cas de House, pOul’ poser un diagnostic. Face au réel, la raison élabore des méthodes pour décomposer, traduire, expliquer, c’est-à-dire connaître ce qui se donne à voir. « Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit » comme le dit le philosophe spécialiste des sciences, Gaston Bachelard (1884-1962). ~exigence d’une connaissance vraie est donc l’exigence d’une connaissance construite par la raison. Mais comment construire une telle connaissance?

Les philosophes qui s’intéressent au problème de la connaissance considèrent habituellement qu’il y a deux manières de connaître une chose. La première consiste à partir de l’expérience pour en récolter les données qui font problème et les ordonner grâce à la raison; c’est la voie que les philosophes appellent le rationalisme empirique et qui tient l’expérience comme le seul fondement de la connaissance. La deuxième voie est celle du rationalisme intellectualiste qui considère qu’il ne faut pas faire confiance à l’expérience et que les intuitions de la raison sont les seules sources valables à partir desquelles on peut construire la vérité. La première voie passe de l’expérience à la connaissance au moyen de l’induction, c’est-à-dire par un raisonnement qui construit une proposition générale à partir de la perception de cas particuliers, tandis que la deuxième voie construit la connaissance à partir d’un raisonnement déductif, c’est-à-dire par le fait de tirer un ensemble de conséquences particulières d’une proposition générale. Quelle méthode de connaissance House adopte-il?

Dialoguer avec l’expérience: le raisonnement expérimental

Bien qu’il n’aime pas rencontrer ses patients, House n’ignore pas pour autant les données de l’expérience, c’est-à-dire les symptômes. De même, lorsqu’il consent finalement à donner des consultations, il lui suffit de quelques secondes d’observation pour pouvoir ensuite poser son diagnostic. La méthode de connaissance qu’il adopte est donc celle du rationalisme empiriste: il s’agit de « forcer» l’expérience à répondre aux questions que la raison se pose et en même temps de conduire son raisonnement avec rigueur, en telle sorte qu’il ne s’écarte pas de la réalité qu’il faut connaître. C’est sous cet angle que House ressemble le plus à Sherlock Holmes, le personnage dont il est ouvertement inspiré. En plus d’avoir tous les deux un meilleur ami qui est docteur (Wilson/Watson), d’être tous les deux musiciens (piano pour House, violon pour Holmes) et d’avoir tous les deux un problème de dépendance vis-à-vis de certaines substances (Vicodin pour House et héroïne pour Holmes), les deux hommes partagent tous les  deux la même méthode de connaissance. S’ils sont tous deux doués d’un formidable don d’observation – des symptômes pour House et des indices pour Holmes -, si donc ils enracinent tous deux leur connaissance dans un contact avec le réel, ils n’oublient pourtant pas de raisonner sur leurs observations. Ils affirment par là qu’il ne suffit pas de faire l’expérience du réel pour en connaître la vérité, mais qu’il faut aussi tenir compte des idées de la raison. Mais que signifie raisonner sur des faits? En quoi consiste précisément ce raisonnement expérimental?

C’est un autre médecin, Claude Bernard (1813-1878), qui en 1865 prend le temps de décrire précisément comment ce dialogue entre la raison et le réel peut produire de la connaissance. Pour cela, il présente une démarche en trois temps qui est restée célèbre sous le nom de méthode expérimentale. Les trois étapes de cette méthode sont l’observation, la construction d’une hypothèse et l’expérimentation, comme on peut le lire dans le texte suivant.

« La simple constatation des faits ne pourra jamais parvenir à constituer une science. On aurait beau multiplier les faits ou les observations, que cela n’en apprendrait pas davantage. Pour s’instruire, il faut nécessairement raisonner sur ce que l’on a observé, comparer les faits et les juger par d’autres faits qui servent de contrôle. [ … ] L’esprit de l’homme ne peut concevoir un effet sans cause, de telle sorte que la vue d’un phénomène éveille toujours en lui une idée de causalité. Toute la connaissance humaine se borne à remonter des effets observés à leur cause. À la suite d’une observation, une idée relative à la cause du phénomène observé se présente à l’esprit; puis on introduit cette idée anticipée dans un raisonnement en vertu duquel on fait des expériences pour la contrôler. »

L’observation

C’est la phase de recueil des données ou de présentation des faits et en tant que telle, elle ne mobilise pas la raison. L’observation ne fait rien connaître et il ne sert à rien de multiplier les observations. C’est pour cette raison qu’une fois qu’il a pris connaissance des symptômes d’un malade en lisant son dossier, House n’a plus besoin de le rencontrer. C’est pour expliquer ces faits observés que l’on émet ensuite une hypothèse.

La construction de l’hypothèse

Elle repose sur une tendance naturelle de l’esprit humain à rechercher la cause de ce qu’il observe. L’hypothèse ou « idée expérimentale» n’est ni innée, ni spontanée, elle surgit soit à l’occasion d’une longue et attentive observation, soit tout à fait par hasard. Elle est une « idée relative à la cause du phénomène observé », dit Bernard: elle propose une première interprétation anticipée de la cause des faits observés, un premier diagnostic en somme, ou, comme il le dit un peu plus loin dans le même chapitre, elle « résulte d’une sorte de pressentiment de J’esprit qui juge que les choses doivent passer d’une certaine manière’ ». Il n’y a pas de méthode pour établir des hypothèses. Ce sont des inductions qui reposent sur « J’invention ou le génie de chacun ». C’est dans cet art de forger des hypothèses que House excelle tout particulièrement, notamment parce qu’il n’a pas peur d’en forger de très audacieuses, reposant sur un détail ou sur un rapport entre deux observations qu’il est le seul à avoir perçu. C’est même là le ressort principal de la série. La plupart du temps, l’hypothèse qui se vérifiera comme le diagnostic final est forgée tout à fait par hasard, au dernier moment, parce que House a aperçu quelque chose qui apparemment n’a aucun rapport, mais dont sa fine intelligence perçoit pourtant le rapport. Avant cela, différentes hypothèses sont formulées, examinées, discutées et souvent réfutées lors du diagnostic différentiel avec les trois autres médecins de l’équipe. Seules les plus pertinentes, celles qui passent l’examen de la discussion, sont ensuite soumises à vérification. C’est à ce moment qu’intervient la raison, l’hypothèse est introduite dans un raisonnement afin d’en déduire des implications que l’on pourra observer au cours d’un test, d’un examen ou d’une expérimentation’. L’hypothèse a donc un double rôle: un rôle théorique puisqu’elle est le point de départ d’un raisonnement expérimental et un rôle pratique puisqu’elle est l’idée qui gUide la main de l’expérimentateur, au cours de l’expérimentation chargée de la vérifier. Précisément, comment s’effectue cette vérification?

L’expérimentation

Dans la série, après les séances de diagnostic différentiel, House envoie Chase, Foreman et Cameron mener les examens ou les traitements qui permettront de tester les hypothèses. C’est la phase d’expérimentation, qui a pour fonction de « contrôler », par d’autres faits, l’hypothèse émise. Si les tests produisent le résultat escompté lors du raisonnement expérimentai, on tient l’hypothèse pour valide, et si les tests ne produisent pas ce résultat escompté, alors elle est éliminée. La phase d’expérimentation correspond à la phase active de ce dialogue entre la raison et le réel au cours de laquelle la connaissance est produite par une interrogation « forcée » des faits, puisque tout l’enjeu est de provoquer un effet attendu. Cette phase d’expérimentation satisfait l’exigence empirique de fondement de la connaissance sur l’expérience. Elle a pour charge d’administrer la vérité en « prouvant» la validité d’une hypothèse ou au contraire en « prouvant» sa fausseté. Mais ce dernier point pose problème. L’expérience ne peut pas « prouver» la vérité d’une hypothèse comme le pensait pourtant Bernard2. C’est pour cela que House continue souvent de douter d’une hypothèse émise par un des membres de son équipe quand bien même les résultats des examens semblent la confirmer provisoirement. Mais si l’expérimentation ne peut pas « prouver» avec certitude une hypothèse, elle n’est pourtant pas inutile. Elle permet de confirmer la probabilité de l’hypothèse quand elle présente l’effet déduit par le raisonnement expérimental, ou bien elle permet d’éliminer l’hypothèse quand elle ne le présente pas. De fait, dans la série, c’est surtout cette dernière fonction de l’expérimentation qui est exploitée. Chase, Foreman et Cameron reviennent souvent en salle de diagnostic avec des résultats négatifs pour leurs examens, ce qui relance la réflexion, et par là même la tension de l’épisode, jusqu’à ce que s’impose l’hypothèse du diagnostic final.

Pour déjouer les mensonges des patients et les mensonges des corps, House et son équipe développent donc une méthode rationnelle de construction de la vérité à partir de l’expérience. Même si, en toute rigueur, les expérimentations auxquelles ils se livrent ne peuvent pas démontrer leur hypothèse avec la même certitude que celle des démonstrations mathématiques, elles permettent néanmoins de valider des hypothèses à partir desquelles les patients pourront être guéris.

Mais au cours de l’épisode, les quatre médecins sont rarement d’accord sur les hypothèses qu’ils émettent. S’ils disposent de la même méthode pour émettre une hypothèse, encore faut-il qu’ils parviennent, lors des séances de diagnostic différentiel, à imposer leur hypothèse. À quoi sert finalement le diagnostic différentiel?

Réfuter les opinions: le raisonnement dialectique

Étant donné la complexité des cas que traite l’équipe de House, de multiples hypothèses peuvent être élaborées. Mais les médecins disposent rarement du temps et des moyens pour les tester toutes. Du coup, les séances de diagnostic différentiel sont là aussi pour « faire le tri » entre les hypothèses au moyen d’une discussion contradictoire qui éprouve leur pertinence. À travers ce moment fort, chaque épisode met en scène une autre figure de la recherche de la vérité: celle du raisonnement dialectique.
Après le Greg House inspiré de Sherlock Holmes, place au Greg House inspiré du philosophe Socrate (470-399 av. J-C.). Comme son ancêtre grec, House est passé maître dans l’art du dialogue et de la réfutation, il n’hésite pas à répliquer de manière cinglante à ses interlocuteurs tout comme Socrate était accusé de « mettre les autres dans l’embarras » et tout comme Socrate que l’on distinguait par son aspect physique, House est lui-même frappé par une difformité phYSique qui le distingue des autres médecins. Mais au-delà, la méthode de House fait aussi explicitement référence à celle du philosophe grec, comme le revendique par exemple l’épisode 6 de la 1re saison, intitulé « The Socratic method ». En quoi consiste une telle méthode?

Contre l’idée selon laquelle toutes les opinions se valent ou que chaque homme peut avoir sa vérité, Socrate réaffirme tout au long de sa vie que la vérité est une et absolue, parce qu’elle consiste uniquement dans le savoir de ce qu’est une réalité, c’est-à-dire dans le savoir de son idée. Pour établir cela, la méthode mise au point par Socrate consiste à employer un raisonnement dialectique afin de déjouer la confusion entre l’opinion et le savoir. Qu’est-ce que le raisonnement dialectique? C’est l’art de questionner et de répondre, donc de mener un dialogue pour s’élever des impressions jusqu’à la connaissance. Mis en œuvre par Socrate, comme par House, ce raisonnement a le visage de la maïeutique, c’est-à-dire de l’art de faire accoucher les esprits de la bonne réponse en leur posant les bonnes questions, comme on peut le lire dans cette réplique de Socrate:

« Or à mon métier de faire les accouchements, appartiennent toutes les autres choses qui appartiennent aux accoucheuses, mais il diffère par le fait d’accoucher des hommes, mais non des femmes, et par le tait de veiller sur leurs âmes en train d’enfanter, mais non sur leurs corps. Et c’est cela le plus important dans notre métier, d’être capable d’éprouver, par tous les moyens, si la pensée du jeune homme donne naissance à de l’imaginaire, c’est-à-dire à du taux, ou au fruit d’une conception, c’est-à-dire à du vrai. »
Platon, Théétète.

Mise à part la restriction concernant les femmes, ces quelques précisions s’appliquent sans problème au travail que fait House lors des séances de diagnostic différentiel. La procédure décrite ici par Socrate est double: accoucher les esprits et éprouver les réponses qu’ils donnent.

Susciter des réponses

Socrate utilise la métaphore de l’accouchement pour désigner une certaine manière de poser des questions afin de susciter des réponses chez son interlocuteur. C’est avec Socrate que le geste philosophique par excellence, c’est-à-dire le geste par lequel s’engage la recherche de la vérité, est devenu le questionnement. Poser une question, c’est à la fois manifester son ignorance, c’est-à-dire montrer que l’on ne sait pas, et en même temps manifester son désir de savoir. Telle est la posture du philosophe : il ne prétend pas détenir un savoir, mais au contraire il y aspire.

Dans Dr House, les séances de diagnostic différentiel sont des séances de questions posées par House afin de susciter des réponses chez ses trois jeunes collègues. Parfois ces questions sont plutôt des devinettes, House connaît la réponse d’avance, mais la plupart du temps, surtout au début des épisodes, il n’en sait pas plus qu’eux. Comment peut-il alors accoucher les esprits, c’est-à-dire susciter des réponses en ne posant que des questions? Comment la vérité peut-elle surgir d’un ensemble de questions?

Éprouver la vérité de la réponse : la réfutation

Le deuxième temps de la maïeutique consiste à éprouver la vérité des réponses accouchées. Et pour les éprouver, le meilleur moyen est de tenter de les réfuter, c’est-à-dire de se servir de sa raison pour examiner les réponses et tenter d’en apprécier les présupposés, les conséquences et en dernier ressort la cohérence. Quand l’interlocuteur en est réduit à l’auto-contradiction ou à l’absurde, alors sa réponse peut être considérée comme fausse et éliminée. À l’inverse, une réponse est vraie quand elle résiste à la réfutation, c’est-à-dire à la contradiction. Telle est l’arme de Socrate et le seul moyen dont il dispose pour s’approcher de la vérité. Habituellement, Socrate est plutôt amical lors de ses réfutations, bien que ses interlocuteurs le trouvent agressif ou de mauvaise foi, vexés et honteux qu’ils sont d’avoir été réfutés. House au contraire est rarement amical et souvent profondément désagréable ou méchant dans ses réfutations. Il faut néanmoins comprendre son ironie comme un moyen supplémentaire d’encourager l’accouchement de nouvelles réponses. Plus une réponse aura été vivement réfutée, plus l’interlocuteur se sentira tout confus, plus il aura le désir d’apporter une nouvelle réponse. Plus House est ironique et désa-gréable, plus en fait il crée les conditions de surgissement d’une réponse intéressante!. Socrate analyse très bien les réactions que sa pratique de la réfutation entraîne et là encore elles décrivent particulièrement le comportement de Greg House :

« Beaucoup déjà, en effet, admirable garçon, ont adopté vis-à-vis de moi une attitude telle qu’ils sont prêts tout simplement à mordre, dès lors que je fais disparaître quelqu’une de leurs inconsistances: c’est qu’ils ne croient pas que je fais cela par bienveillance, éloignés qu’ils sont de savoir [ … ] que moi je ne joue nullement ce genre de rôle par malveillance, mais qu’il ne m’est d’aucune façon permis de concéder le faux et d’affaiblir l’éclat du vrai. »
Platon, Théétète.

Malgré les apparences, ce n’est pas la malveillance ou l’orgueil qui inspirent la réfutation, mais au contraire la bienveillance et le souci du vrai. Le raisonnement dialectique n’est pas une argumentation qui cherche le consensus, car la vérité brise toujours le consensus que l’opinion, les préjugés et les mensonges ont contribué à mettre en place. Telle est la signification la plus profonde du personnage de Gregory House: il est tout entier voué à son métier qui est de faire surgir la vérité du mensonge et le savoir de l’ignorance. Lui qui est prêt à transgresser toutes les règles de l’éthique médicale, de la loyauté professionnelle et même de l’amitié, il y a pourtant une valeur qu’il ne lui est pas permis de bafouer: c’est la vérité. Telle est la clef de l’originalité du personnage, mais telle est la raison de sa solitude aussi.
Diagnostiquer un cas énigmatique et sauver les corps des mensonges qui les rongent sont une seule et même chose quand on regarde Dr House. La vérité se construit par un double dialogue de la raison avec l’expérience d’une part, et de la raison avec l’opinion d’autre part. Dans les deux cas pourtant, quelle que soit la méthode, la vérité est le résultat d’un test, d’une lutte, d’une résistance à une tentative de réfutation.

Pourquoi Greg House est-il si désagréable? Parce qu’il est un homme pour qui la vérité, la vérité absolue, est la seule valeur qui puisse être respectée. Son ironie est à la fois une technique de raisonnement puisqu’elle sert à réfuter la fausseté et la contradiction des opinions de ses collègues, mais elle est aussi une manière de vivre, car elle permet de confronter tous ceux qui l’entourent, Wilson, Foreman, Chase, Cameron, comme tous les patients qu’il croise, à leurs propres mensonges et de les aider ainsi à mettre un peu plus de vérité dans leur existence.

Cet art de la réfutation et cette exigence de vérité ont valu à Socrate un procès et une condamnation à mort. Espérons que cette même pratique de la réfutation et ce même goût pour la vérité n’exposeront pas House aux mêmes ennuis …

Philosophie en séries.
Thibaut de Saint Maurice.
Éditions Ellipse, 2009.

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