
Brièveté de la vie
La brièveté de la vie
Ainsi donc, à défaut de connaître le bonheur, nous pouvons cultiver le plaisir et la joie en nous emparant de cet instant que nous laissons trop souvent s’échapper tandis que nous regardons ailleurs. Nous attendions demain quand nous aurions dû vivre aujourd’hui. Soit ! Si nous devons borner nos espérances aux jouissances de l’ici et maintenant, recherchons-les sans tarder ! Violetta, plus connue sous le surnom de la Traviata, délivre pareille leçon à ses invités dans le premier acte de l’opéra de Verdi : « Tout dans la vie est folie, sauf le plaisir ! » Ensemble, ils entonnent alors cet air bien connu, éloge de la volupté : « Libiamo ! » – jouissons !
Soit ! Libiamo ! Seulement, vous me direz peut-être que, pour qui veut la saisir, la vie est bien trop brève et que, pour qui cherche le plaisir ou la joie, l’existence offre trop peu d’occasions de se réjouir. Qui bornerait ses exigences au présent devrait encore expérimenter la tragédie de cet effroyable passage du temps et l’extrême fugacité de notre vie. Ainsi, trop peu de nos désirs pourraient se trouver réalisés. Trop peu de joies être vécues. Vous vous lamentez peut-être comme Baudelaire sur le fait qu’une horloge est un dieu sinistre, effrayant et impassible. Le poète nous assure – et c’est la vérité – que de vibrantes douleurs se planteront bientôt dans notre cœur plein d’effroi et que « le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse », car chaque instant nous dévore un morceau du délice « à chaque homme accordé pour toute sa saison ». Alors, oui, dans cet effroyable mais lucide poème, Baudelaire nous recommande de ne pas renoncer à une seule minute sans en avoir extrait l’or, mais il reconnaît que « le Temps est un joueur avide qui gagne sans tricher, à tout coup ! C’est la loi ». Ainsi, nous disposerions de trop peu de temps pour réaliser nos désirs. La vie serait trop brève. La quête du plaisir, elle aussi, serait vouée à l’échec.
Si vous pensez cela, le philosophe Sénèque vous a répondu par avance à travers les siècles. Il sait bien que la plupart des gens se plaignent que la nature est avare, que la vie est trop courte, que les jours passent bien trop vite et que nombreux sont ceux qui meurent avant même d’avoir commencé à vivre.
Seulement, Sénèque n’est pas d’accord : la vie n’est pas trop courte ! C’est nous qui en usons mal. En vérité, si nous l’employions bien, si nous occupions avec pertinence chacun de nos moments, la vie serait assez longue, et même de beaucoup ! Oui, en vérité, nous n’avons pas trop peu de temps : nous en perdons beaucoup !
Où donc est le bonheur ?.
Chaillan, Marianne.
Éditions les équateurs


