Le nouveau totalitarisme
La solution totalitaire
« On aurait tort de croire que l’inconstance oublieuse des masses signifie qu’elles sont guéries de l’illusion totalitaire. »
Hannah Arendt, Le Système totalitaire
À droite de la droite
Nous n’y croyons pas, pourtant nous allons droit vers une solution politique totalitaire. Sous l’indolence des apparences démocratiques, le libéralisme autoritaire d’aujourd’hui, façon Macron, nous entraîne dans une logique de l’extrême. Le pas a été franchi en Autriche, en Italie ou en Hongrie. La contagion de la peste brune gagne le reste de l’Europe, sans qu’aucun cordon sanitaire ne paraisse pouvoir la contenir. Le complaisant label « populisme » est l’antichambre du terrible passé qu’il fait resurgir. Le mot « populitarisme » conviendrait mieux pour désigner ce pré-totalitarisme.
Les partis modérés demeurent majoritaires, mais ce sont des étiquettes vides. Vides d’idées, de militants, d’adhérents et même d’électeurs, si ce n’est d’élus. Ou bien des étiquettes trompeuses qui tentent de banaliser ou de dissimuler leur xénophobie, comme les Démocrates de Suède, parti néonazi qui, en 2018, a réalisé un score historique dans la patrie de la social-démocratie réputée intouchable. Le parti nazi aussi s’affichait national, et même socialiste. Avec suffisamment de propagande populiste pour s’approprier les pleins pouvoirs par de libres élections sans retour…
Voyons le réel plutôt que le nominal.
Depuis trente ans, l’échiquier politique républicain est en proie à une dérive des continents qui l’entraîne vers les terres de la droite extrême. Étonnante continuité politique qui va de Chirac à Sarkozy et de Hollande à Macron. Ils se détestent, mais leurs politiques se ressemblent et suivent le même cours. Les têtes, les styles, les mots et les couleurs changent, mais le tropisme droitier, aux allures libérales pour l’économie et rétrogrades pour le social, s’enkyste et se radicalise. Chaque élection amplifie un peu plus le mouvement, sous l’effet d’une insidieuse et mortelle accoutumance des peuples à leur servitude.
Déjà, la droite extrême rejoint l’extrême droite. La jonction est faite dans de nombreux pays. Et la France n’échappera probablement pas à la suprématie d’un grand bloc de droite dominé par l’extrême droite, du moins dans ses idées, avant que cela ne se traduise dans ses pratiques. Pour mieux éradiquer l’extrême droite en prenant sa place, la droite s’y confond et s’y perd. La concurrence électorale ne se joue plus, comme toujours, au centre, mais à la droite de la droite.
Prenons la mesure de ce courant qui irrésistiblement nous déporte. Le giscardisme des années 1970, tant moqué à l’époque pour son nouveau look libéral sur fond d’accordéon franchouillard, passerait allégrement aujourd’hui pour un programme socialiste bon teint. Sans bruit, le centre de gravité du jeu politique s’est déplacé et droitisé. La gauche s’étant sabordée, puis dissoute, chacun se situe par rapport à la droite : plus, ou moins, ou contre. La contestation a remplacé l’opposition.
La raison d’une telle dérive vers l’extrême paraît toute trouvée. Nous avions pris l’habitude de la marche en avant, du progrès général, de la perpétuelle projection dans un avenir meilleur, ultime legs à nos enfants. Nous avons accepté l’aggravation des conditions morales et matérielles tant que les idéologies du progrès, de droite ou de gauche, tenaient la route. Tant que nous pensions pouvoir « nous en sortir ».
La modernité définit avant tout une croyance et un esperanto dans l’avenir. L’épuisement de l’Alma mater, terre nourricière, prend valeur de symbole mortifère, celui de la fin annoncée d’un monde sans limites. La crise sans fin endurée par les jeunes générations devenues parents et même grands-parents, les mêmes promesses toujours répétées, toujours déçues, ont fini par miner le socle commun de la modernité qui faisait tenir ensemble la société. En politique, l’alternance du même a fini par anéantir l’espoir de l’alternative.
Roger Sue.
Un nouveau totalitarisme.
Les liens qui libèrent, 2020.

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