Oligarchie et climat
Capitalocène ou anthropocène ?
Le bouleversement écologique se prête de manière magnifique à la description d’une classe sociale toute puissante et mobilisée dans la diversité des champs de l’activité sociale. Qu’il s’agisse de l’économie, de la finance, de la politique, de l’idéologie, du droit, de la justice, de la linguistique, de la santé, de la culture, de la recherche, de l’éducation, du patrimoine historique ou des beaux espaces, les profits « quoi qu’il en coûte » à l’humanité, sont le nerf de la violence de classe. Les membres de l’oligarchie sont solidaires et unis dans cette entreprise. Des industriels aux gros agriculteurs, des banquiers aux avocats spécialisés dans la défense des intérêts des multinationales écocides, des économistes à la langue experte aux hommes politiques acquis au néolibéralisme, des lobbyistes actifs au cœur des institutions nationales et internationales aux scientifiques acceptant rémunération pour minimiser le désastre climatique sans oublier les actionnaires des grands groupes de presse, c’est bien la classe dominante qui, depuis le sommet de l’État, continue à favoriser l’extraction des énergies fossiles, charbon, pétrole et gaz, tout en ouvrant parallèlement un nouveau marché, celui du capitalisme vert. Ce dernier permet en outre de brouiller les pistes, sous les douces expressions de « transition écologique » et de « développement durable », avec les voitures électriques ou les éoliennes, qui, en réalité ne freinent guère les gaz à effet de serre, exigeant de multiples extractions pour obtenir les métaux rares nécessaires à leur fabrication avec des investissements financiers considérables. Une recomposition du capitalisme en somme, et point son éradication.
Ainsi, face à l’ouverture envisagée par la multinationale française Imerys, d’une des plus grandes mines de lithium en France, au cœur de l’Auvergne, des contestataires à ce projet extractiviste soulignent qu’il profitera notamment à la production de SUV électriques et à leurs « batteries gigantesques qui ne participent en rien à la transition énergétique et climatique ». « Si on remplace le tout pétrole par le tout métal et le tout mine, on n’aura rien réglé » estime Michelle Petit, vice-présidente de France Nature Environnement Allier, qui souhaite que « l’on s’interroge sur le modèle de société et de consommation que l’on veut1 ». Un décret a pourtant été publié au Journal officiel, le dimanche 7 juillet 2024, quelques heures avant les résultats du second tour des élections législatives, classant ce projet « d’intérêt national majeur », ce qui autorise des dérogations administratives permettant à l’État de prendre les décisions à la place des communes concernées dans le but d’accélérer la mise en service de cette mine. « Ce qui n’a fait qu’aggraver la colère des opposants, alors que le débat public était encore en cours, [qui y voient] “un déni de démocratie2”. » Le lithium, ce métal léger qui pLafarge-Holcim depuis 2016 et président de Truffle Capital de 2017 à 2024 également3. Les entrelacs tissés au sein des grandes entreprises avec des administrateurs qui cumulent les jetons de présence assurent la coordination des intérêts du capitalisme.
Cette oligarchie, aujourd’hui mondialisée, met à mal toutes les formes du vivant, à travers la précarisation des humains et l’exploitation de leur force de travail, quasiment bientôt à vie, le pillage de la nature, l’usage intensif des pesticides, l’industrialisation de l’agriculture et de l’élevage des animaux dans des fermes usines où la maltraitance est devenue la règle pour un rendement maximal. Ce n’est pas « la main invisible du marché » qui assure le soi-disant équilibre des échanges commerciaux et financiers, mais des êtres humains qui spéculent sur le charbon et le pétrole dans les salles de marché des grandes banques. Le Marché a remplacé Dieu. Il devient le Veau d’or de la Bible. Il décrète l’ordre mondial et dit à l’unisson, avec sa chère compagne, la Croissance, le Bien et le Mal. Déjà en 1900, Georg Simmel, dans sa Philosophie de l’argent, pensait qu’une guerre symbolique visant à atteindre l’universel s’était instaurée entre les religions et l’argent. C’est ainsi que la « main invisible du marfonc¬tion¬nement même de cette « main invisible du marché », généralisé à l’échelle de la planète, qui est la cause du chaos climatique, lui bien visible et destructeur du vivant.
C’est pourquoi, le terme de capitalocène est le mot approprié pour désigner ce pillage généralisé de la planète, plus encore que celui d’anthropocène qui rend responsable les activités humaines, et donc tous les êtres humains, de la hausse des températures, des incendies, des inondations, des ouragans et autres tempêtes ! Ne nous trompons donc pas de colère et de vocabulaire : entre anthropocène et capitalocène, ce qui est mis en question n’est pas la fin du monde, mais celle du capitalisme !
Le chaos social et le chaos climatique sont donc les deux faces de la même pièce de monnaie, celle du capitalisme dans sa phase néolibérale, radicale et violente, qui soumet tous les secteurs de l’activité humaine à la financiarisation au profit d’actionnaires avides de dividendes et au détriment de la qualité de la vie sur la planète. « C’est une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner » a déclaré le multimilliardaire américain Warren Buffett sur CNN le 25 mai 2005, éclairant ainsi, dans un franc-parler rare, l’état des rapports sociaux. En effet, depuis la mondialisation du système capitaliste, la guerre ne concerne plus seulement les affrontements militaires, mais tous les domaines de l’activité humaine, devenus de nouveaux champs de bataille. Le déreglement du climat est la cerise sur le gâteau dans cette guerre de tous contre tous.
La sociologie permet de donner corps à tout ce qui est caché, masqué et donc invisible. Voici donc quelques clefs de lecture de ce qui est trop souvent¬ vécu comme une apocalypse naturelle, alors qu’il s’agit bel et bien d’une construction sociale fondée sur cette guerre de classe, dont l’analyse est essentielle pour mettre fin à cette menace collective contre l’habitabilité de la planète. Accepter de porter les lunettes que je vous propose pour comprendre que notre avenir est déjà gravement amputé par une minorité de milliardaires ne peut être que bénéfique tant la pensée critique, lorsqu’elle est collectivement partagée, est déjà une forme de résistance à l’inadmissible. Or, il est urgent d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
Monique Pinçon Charlot.
Les riches contre la planète – Violence oligarchique et chaos climatique.
Éditions textuel, 2025.

Ajouter aux favoris



