Extraits philosophiques

Faire du vélo

POURQUOI EST-ON PLUS HEUREUX À VÉLO ?

La question semble légère, mais elle ne l’est pas !

Pédaler, c’est en effet être au monde d’une manière particulière, sensible, éprouver la résistance du vent et sentir qu’on se déplace à la force de ses jambes, même si elles sont parfois aidées d’un petit moteur électrique.

Or le bonheur est toujours une manière de se sentir vivant comme corps, de se sentir appartenir à ce monde et à ses forces, et reconnaissons qu’on a plus ce sentiment en l’arpentant à vélo qu’en restant assis dans sa voiture, dans un bus ou un wagon de métro. Et quand on arrive à bon port, qu’on sort son cadenas pour attacher son vélo, on a déjà l’impression d’avoir fait quelque chose, ce petit goût du devoir accompli, d’avoir quand même, au moins un peu, mérité d’être arrivés.

Dans l’histoire de la philosophie, on trouve deux grandes idées du bonheur. Celui que l’on pourrait appeler le bonheur des Anciens relève de cet être au monde que nous venons de décrire, et auquel le vélo contribue.

Quant à ce que l’on pourrait appeler le bonheur des Modernes, il tient moins à cet état d’être au monde qu’au désir de se lancer, moins à une manière d’habiter le monde qu’à la capacité à avoir des projets et à s’investir dans le réel. « Malheur à qui n’a plus rien à désirer », écrit ainsi Rousseau. Si le bonheur des Anciens revient à trouver sa place dans le Cosmos, à « nager dans le bain » de la félicité, celui des modernes (Rousseau, Nietzsche, Sartre…) serait plutôt de « se jeter à l’eau », d’agir pour changer les choses.

Or le vélo rend possible ces deux types de bonheur : pédaler est à la fois une bonne manière d’être en connexion avec son environnement, et une excellente manière de lancer sa journée et d’être déjà dans l’action, éprouvant alors le bonheur des Modernes et non plus celui des Anciens.

Et puis il y a autre chose. Cette alternance de moments où l’on fait son effort, où l’on pédale dur, le dos courbé, les muscles des cuisses au travail, et de moments où l’on se laisse porter, glisser, comme des moments de grâce ou de récompense… n’est-ce pas la plus belle métaphore de la vie ? Le vélo nous fait du bien parce qu’il nous rappelle que le plaisir se mérite, que la joie de glisser se conquiert. Quoi de mieux que le vélo pour nous dire cette vie faite de hauts et de bas ?

Enfin, il y a ce sentiment, cette impression de balade. Ou plutôt, pour mieux dire, cette promesse que nous souffle le vélo : et si la vie était une balade ? Même si nous sommes pressés, stressés, concentrés, il y a toujours un moment, à vélo, où nous redevenons promeneurs, observateurs. Bien sûr, cette existence peut être dure, heurtée, injuste, violente, mais, quand on prend son vélo le matin pour l’affronter, il y a de grandes chances qu’à un moment, au moins une fois sur le trajet, au sortir d’un virage, jetant un œil vers le ciel et ses merveilleux nuages, on se surprenne à voir cette vie comme une balade.

 

Charles Pépin.
Où trouver la force ?
Allary, 2025.

 

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