Extraits philosophiques

Un voyage intérieur

UN VOYAGE INTÉRIEUR

Notre existence a-t-elle un sens ? Comment avoir accès à la joie et à la paix intérieure malgré les difficultés et les épreuves de la vie ? Notre âme est-elle mortelle ou immortelle ? Comment mener une vie bonne et heureuse ? Depuis plusieurs millénaires, ces questions n’ont cessé d’interroger les humains. Elles reviennent, tenaces, à chaque époque, à chaque crise, à chaque vacillement intérieur. Elles se posent de nos jours avec acuité dans un monde pour la première fois globalisé, confronté à des crises inédites (comme celle du réchauffement climatique), où les bouleversements technologiques s’accélèrent, imposant sans cesse de nouveaux défis éthiques. Mais aussi à une époque troublée, où la violence des relations internationales et des rapports sociaux est de plus en plus perceptible, et où de nombreux Occidentaux sont en perte de sens et de repères après l’effondrement des grandes traditions religieuses.

Il fut un temps, au milieu du premier millénaire avant notre ère, où cette interrogation sur le sens de la vie semble avoir pris une intensité particulière. En Inde, en Chine, en Grèce, en Perse, dans le monde hébraïque surgissent, en parallèle des penseurs, des mystiques, des philosophes, que rien ne reliait géographiquement, mais que tout semblait réunir intérieurement. C’est ce moment que Karl Jaspers a nommé « l’âge axial ». Comme si l’humanité, dans une sorte de sursaut universel, avait senti qu’il était temps de tourner son regard non plus vers les cieux lointains, mais vers l’intime. De chercher non plus à flatter les dieux, mais d’apprendre à se connaître et à se transformer soi-même. Dans cette époque féconde apparaissent en Inde les Upanishad, le bouddhisme, le jaïnisme. En Chine, Confucius et Lao-tseu tracent chacun une voie. En Grèce, la philosophie naît dans l’étonnement. En Perse, le mazdéisme propose une vision du monde fondée sur la dualité du bien et du mal. Même dans le judaïsme prophétique, une nouvelle voix s’élève jusqu’à Jésus : celle de l’intériorité et du dépassement de la loi par l’amour. Ce qui frappe, ce n’est pas seulement la simultanéité de ces émergences, c’est leur convergence. Toutes ces traditions, aussi diverses soient-elles, affirment que le centre de gravité de la vie humaine ne réside ni dans les richesses, ni dans les honneurs, ni même dans la simple obéissance à une loi divine, mais dans un travail patient et profond sur soi-même. Les religions anciennes reposaient en effet sur des rites collectifs, des sacrifices, des pratiques visant à obtenir la faveur des dieux. La sagesse, elle, opère un déplacement radical : elle invite à un travail intérieur. Elle suggère que bonheur et salut ne se conquièrent pas à l’extérieur de soi, mais dans le sanctuaire de la conscience. Le regard n’est plus tendu vers l’autel, mais vers l’âme. Il ne s’agit plus d’apaiser des puissances célestes, mais de s’éveiller à sa propre humanité. De purifier le regard. De cultiver la justice, la paix intérieure, la lucidité, la joie de vivre.

Frédéric Lenoir.
Les 5 piliers de la sagesse.
Albin Michel, 2025.

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