Extraits philosophiques

Se mettre au courant

L’électricien
Il m’avait été recommandé par un ami. Un ami en qui j’ai confiance. Chaque fois qu’il m’a envoyé un ouvrier, c’était la crème de la crème. L’électricien s’appelle Iannis. Et lui aussi, c’est un as. Je l’ai compris dès qu’il a mis le pied dans la maison. Il pourrait passer pour un scientifique. D’ailleurs, c’est un expert. Dans son domaine.
Rapide, précis, propre. Je me suis occupé de mon travail, lui du sien. Un de ces ouvriers à qui tu expliques ce qu’ils ont à faire et qui le font, tout simplement.
À un moment donné, il me demande: «Ils t’ont fait un travail de cochon… On arrange tout ça?» Sans y faire trop attention, je lui réponds: «Oui, oui, réparons ce qu’il y a à réparer.
— Mais pour réparer, je vais devoir faire de la casse.»
Comme si je venais de me réveiller, je lui demande de répéter. «Qu’est-ce que tu as dit, Iannis?
— Pour réparer, je dois casser. C’est pas possible autrement.»
Et je suis resté planté là, perdu dans mes pensées: pour réparer, je dois casser.
C’est ce que font mes filles. Quand elles jouent aux Lego. Elles construisent des forteresses, des maisons, des écoles. Elles s’y attachent. Elles ne veulent plus les démonter. Et puis, au bout d’un moment, elles n’ont plus de briques pour en fabriquer de nouvelles. Elles râlent un peu et puis elles comprennent qu’elles vont devoir démolir l’ancien pour bâtir du neuf. Pour construire, il faut détruire.
Je le vois aussi dans la vie. Pour qu’une chose voie le jour, une autre doit mourir. Mourir pour renaître. Il n’y a pas d’exceptions. C’est vrai pour les gens, les relations, les amitiés, les entreprises, les bâtiments, les sentiments, tout…
On a tendance à s’accrocher au passé. Et pourtant, s’il ne s’en va pas, la nouveauté n’arrive pas. Elle n’a pas la place. Si tu ne donnes pas tes vieux vêtements, les nouveaux ne rentrent pas dans l’armoire. Si l’été ne s’en va pas, l’automne ne vient pas. Si l’esprit ne se vide pas, les idées neuves n’apparaissent pas. Mais nous n’aimons pas le changement. Nous ne voulons pas donner nos chemises. Nous ne voulons pas faire le vide dans notre esprit. Nous ne voulons pas voir partir l’été. Nous n’aimons pas le changement.
Et voilà qu’on se retrouve à traiter nos enfants de dix-huit ans comme des bébés; à refuser d’accepter que notre moitié est bel et bien partie; à vivre quand «tout allait mieux», alors que le calendrier est formel, dix ans ont passé; à laisser traîner notre ancre au fond de la mer au lieu de la remonter; à tomber malade.
Si tu te brouilles avec la réalité,
devine qui va gagner?
Et quand tu conduis, si tu regardes dans le rétroviseur plutôt que devant toi, devine ce qui va arriver? Depuis le jour de ta naissance, il n’y a qu’une chose de sûre: tu vas mourir. Personne ne craint la mort davantage que celui qui n’a pas vécu.
Alors, mets-toi à vivre pour de bon. Pas demain, aujourd’hui…

Chaque jour est un cadeau.
Stefanos Xenakis.
Edito, 2022.

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