Extraits philosophiques

Consumérisme

François Ruffin

« La crise climatique nous impose de revoir le sens de l’existence »

François Ruffin est journaliste, et a notamment fondé le journal Fakir. Auteur de nombreux livres et du film Merci Patron !, il est député de la Somme (France insoumise) depuis juin 2017.
REPORTERRE. Comment êtes-vous venu à l’écologie ?
FRANÇOIS RUFFIN. Je n’ai pas le sentiment d’y être venu. Quand j’étais adolescent, l’un de mes combats fondateurs a été les poules en batterie. J’étais très hostile aux cages et j’ai donné pendant des années à l’association Protection mondiale des animaux de ferme. J’ai été végétarien vers mes 17, 18 ans, notamment pour la raison éthique qu’on ne doit pas faire cela aux animaux.

Était-ce en lien avec le territoire dans lequel vous avez grandi ?
C’était tout seul dans mon coin. J’ai été très tôt hostile au consumérisme, dès le collège. Mon père est cadre, mais ses parents appartenaient à la « lumpen-paysannerie ». Comme il avait réussi, il m’a mis dans l’univers bourgeois du collège de La Providence, à Amiens. J’y ai vécu un grand choc social, un grand fossé… J’étais entouré de gens qui faisaient leur première communion pour avoir une montre en or et qui dressaient la liste des gros cadeaux offerts à Noël, dans l’univers des marques Chevignon, Naf-Naf. J’étais en rupture contre cela, je revendiquais de ne pas avoir de vêtements de marque, et même de dire aux autres : « Je vous emmerde, je suis communiste. » On était en sixième, je ne savais pas ce qu’était le communisme !

Vos parents ne vous offraient pas de ces cadeaux ?
Non. Mon père était cadre chez Bonduelle, ma mère ne travaillait pas. Mais leurs parents étaient paysans et on avait une manière d’être qui était celle des petits paysans des campagnes importés à la ville. Les habits que je portais venaient du grand cousin qui les avait passés à son frère avant qu’ils arrivent chez moi. Cela me convenait.
Ma détestation du consumérisme s’est traduite ensuite par une détestation de la publicité avec un ouvrage qui a été pour moi important, Le Bonheur conforme de François Brune, qui est une critique de l’univers publicitaire. Il a un fond humaniste plus qu’écologique : « On ne doit pas réduire l’homme à une machine à produire et à consommer. » Au fond, l’écologie ne m’intéresse que si elle est aussi porteuse de la conception d’un autre homme que celle qui le réduit à être producteur/consommateur. Cela s’est ensuite traduit intellectuellement par le rapprochement avec la critique des médias, Brune étant dans l’univers du Monde diplomatique.

Comment en êtes-vous venu ensuite au journalisme ?
J’étais un être en révolte qui pensait qu’il faut changer la société. Mais qu’on ne peut pas la transformer sans modifier le regard sur la société. Pour cela, il faut changer ce qu’on met dans la tête des gens. C’est le raisonnement politique que je faisais à l’époque et qui correspondait à un souhait personnel, à un besoin d’intervention sur la scène publique. J’ai besoin d’une forme d’expression, « exprimer » est un verbe important pour moi.

Vos parents faisaient de la politique ?
Pas du tout. Le raisonnement de la famille, c’était plutôt « Pour vivre heureux, vivons cachés » [rires]. Quand j’étais jeune, je ravalais énormément, tout le temps. Mais je lisais. J’avais une vie intérieure assez intense, mais que j’exprimais peu. C’est plus tard, après le bac, quand je suis rentré des États-Unis où j’avais été prof et où j’avais gagné de l’argent, que j’ai un peu pris confiance en moi. J’ai lancé le journal Fakir et ça a marché. Moi qui suis très timide, je suis allé vers les gens et j’ai découvert qu’ils me parlaient, que ça se passait bien. Pour le premier numéro, j’avais fait un reportage au zoo d’Amiens, pour y raconter les conditions de vie des animaux du zoo et discuter avec leur soigneur. Toutes ces rencontres m’ont sauvé, parce que je n’allais pas bien. Les gens m’ont sauvé.

Pourquoi n’alliez-vous pas bien ?
J’ai vécu des années de déprime parce que je n’avais pas de terrain pour me valoriser, je n’avais pas d’estime de moi. Je n’avais pas songé à devenir journaliste parce que c’était un univers qui m’était interdit socialement. Faire une grande école, cela me paraissait impensable. Et puis, avec Fakir, je me suis dit que c’était possible, j’ai fait un stage à Libération, et là, on m’a dit de faire une école de journalisme. Donc, j’ai fait une école de journalisme. Mais je ne m’y épanouissais pas. Ce que je lui reprochais, ce n’est pas de nous avoir formés au modèle LCI, Le Parisien, France Info, dans l’obsession de l’actualité, mais de ne nous avoir formés qu’à ça, sans montrer que d’autres journalismes existent. Heureusement, depuis, grâce à internet, l’univers médiatique a éclaté, et les expériences dissidentes sont davantage possibles qu’hier.

Quel était l’objectif de Fakir ?
J’étais comme un prophète habité par un désir de Vérité. Avec la majuscule. Mon objectif était simple : détruire Le Journal des Amiénois, l’hebdomadaire municipal distribué dans toutes les boîtes aux lettres. Ce n’était qu’un tissu de mensonges, au moins par omission. Par exemple, au moment où l’usine Yoplait a fermé, plongeant quatre-vingts familles dans le désarroi, il n’y avait pas une ligne dans Le Journal des Amiénois, qui titrait « Amiens, un carnaval fou et gratuit ».
Après, le terrain a pris chair, les histoires, les hommes, la tendresse. Et est venue l’interrogation de savoir comment transformer la société. Ce n’est pas une pâte que l’on modèle facilement. Si on veut transformer la société, il faut faire du chemin avec les gens, les stimuler, leur redonner un espoir.

Et après, vous avez trouvé votre équilibre.
L’équilibre, c’est peut-être beaucoup dire. Ou alors l’équilibre d’un funambule. Il y a eu la radio avec « Là-bas si j’y suis » de Daniel Mermet sur France Inter, Le Monde diplomatique, des livres… Et puis le film, parce qu’aujourd’hui, le media populaire c’est l’image. Merci, patron ! est sorti en 2016 et est devenu populaire, mais il rendait visible un travail qui était déjà là.

François Ruffin.
L’Écologie du XXIe siècle.
Le Seuil, 2019.

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