
Biodiversité
Comment jugez-vous la situation écologique aujourd’hui ?
Catastrophique, désespérante. Le système libéral est totalement incompatible avec une réelle écologie. À l’inverse du discours des aménageurs, qui se plaignent de ne plus pouvoir rien faire à cause des normes environnementales, nos campagnes continuent d’être détruites.
L’unique amélioration est la prise en compte nécessaire des espèces protégées. Même si dans le principe « éviter, réduire, compenser » est la formule censée guider les politiques publiques, c’est toujours « compenser » qui est retenu, jamais « éviter ».
Par rapport aux autres enjeux écologiques, la biodiversité est très peu prise en compte. Les conseillers du ministère de l’Écologie sur ces questions, diplômés de grandes écoles, n’ont aucune culture naturaliste. On est obligé de leur expliquer le B.A.-BA du fonctionnement d’un écosystème.
Pourquoi ce manque d’intérêt pour la biodiversité ?
Par la déconnexion des gens avec la nature. Ils n’ont pas de contact avec un arbre ou un oiseau. On me demande parfois : qu’est-ce que ça va changer dans ma vie si un crapaud disparaît ? Je réponds à cette question rhétorique par l’absurde. La disparition d’une espèce n’entraîne pas de bouleversement écologique et n’a donc pas de conséquence sur les humains ; mais si l’on élimine tout ce qui ne nous apporte rien de concret dans l’immédiat, à la fin il ne restera rien. D’ailleurs, les effets cumulés ne sont jamais pris en compte dans les études d’impact. Quand il détruit une zone humide, l’aménageur indique que l’impact est faible puisqu’il ne s’agit que du millième des zones humides du département. Il n’y a pas de vision globale.
Malheureusement, on utilise souvent – et c’est mon cas, par déformation professionnelle – l’argument utilitaire de l’impact pour les humains parce que c’est le seul qui est écouté par les politiques et certains citoyens. Mais la question qu’on devrait se poser est : a-t-on le droit de faire disparaître une espèce ? Un crapaud est important pour lui-même. L’être humain ne devrait pas être l’alpha et l’oméga de la réflexion sur l’avenir de la planète.
La conscience n’est pas le propre de l’humain, mais nous avons quand même une conscience particulièrement développée de nos actes. Cela nous confère une responsabilité de faire attention aux conséquences et le devoir de ne pas détruire.
Faites-vous le lien entre connaître la nature et la protéger ?
Il n’y a pas besoin d’une connaissance précise pour une protection globale. Du moment qu’on refuse que la prairie soit détruite et qu’on ne veut pas d’un nouvel aéroport, peu importe si ce qu’on protège est telle ou telle sous-espèce de tulipe sauvage. Et, à l’inverse, des gens passionnés par l’observation et l’étude des animaux sauvages prennent l’avion tous les ans pour aller voir tel oiseau en Australie ou la banquise qui fond !
La connaissance naturaliste peut être utile quand il s’agit d’empêcher concrètement un projet. Il faut avoir la connaissance technique pour identifier une espèce, savoir si elle est protégée et comment faire un recours. C’est par défaut qu’on a besoin de nous. Dans un monde meilleur, il n’y aurait pas besoin d’ONG de protection de la nature et je serais photographe nature plutôt que naturaliste.
Que pensez-vous des programmes de sciences participatives entre le Muséum national d’histoire naturelle et nombre d’ONG, avec cette idée qu’en encourageant les gens à observer, on les sensibilise à la protection ?
Même si on parvient à intéresser les gens au monde sauvage, cela n’empêche rien car ils sont pris dans un système de consommation. Quand Nicolas Hulot faisait ses émissions télé sur l’Amazonie, il donnait envie aux gens d’aller voir la forêt, donc de prendre l’avion. On pousse davantage les gens à agir quand on leur montre le côté « crade ». Ce qui m’a poussé à agir, au début, c’est surtout de voir des petits jardins ouvriers, des friches ou des petits bouts de forêt disparaître à côté de chez moi. Il faut se sentir concerné.
Pourtant, vous partagez aussi sur les réseaux sociaux des quiz sur les empreintes d’animaux, les chants d’oiseaux… Pourquoi ?
Parce que si je pense qu’il faut choquer, je n’en suis pas sûr non plus. J’essaie de voir ce qui marche et ce que font les autres. Souvent, les ONG font 80 % de caméra cachée dans les abattoirs, 20 % de petit agneau gambadant dans l’herbe.
D’après vous, contre quoi faut-il se battre en priorité pour protéger la biodiversité ?
Contre soi-même. Le système politico-économico-social est incompatible avec une réelle mise en œuvre d’un programme écologique. Au ministère, c’est totalement verrouillé. Pour changer le système, il faut que les gens le veuillent et luttent contre leur envie de confort facile. J’ai des amis naturalistes qui tiennent un discours écolo mais prennent l’avion cinq fois par an pour aller au bout du monde. Moi-même, j’ai un smartphone depuis peu de temps. Si l’on ne remet pas en question son mode de vie, on ne peut pas demander à un gouvernement de devenir écolo.
J’agis avec mes petits moyens là où je pense pouvoir être le plus efficace. Les animaux et la nature sont mon cœur de métier et mon intérêt premier et je connais bien la chasse. Si j’étais ingénieur physicien nucléaire, je m’intéresserais aux centrales nucléaires.
J’essaie de cibler une action et d’obtenir quelque chose. Je ne vais pas obtenir tout seul la fin de la chasse aux oiseaux migrateurs. Mais Decathlon, une enseigne parmi les préférées des Français, vend des produits de chasse et participe à faire accepter socialement cette activité comme un loisir. Si l’on arrive à faire bouger ça ou au moins à le médiatiser, peut-être que les gens se diront qu’il n’est pas normal qu’un loisir se pratique avec un fusil.
Pierre Rigaud.
L’Écologie du XXIe siècle.
Le Seuil, 2019.


