Extraits philosophiques

Démocratie

Je ne comprends pas… J’entends dire partout que la démocratie, c’est le pouvoir du peuple, le pouvoir exercé par le peuple. Mais je n’ai pas de pouvoir en politique, et toi non plus ? Ce n’est pas nous qui décidons ?

Tu as raison, nous ne décidons pas directement des lois ou des initiatives prises par le gouvernement. En fait, ce que tu soulignes, c’est que nous ne vivons pas dans un système de démocratie directe. Dans la démocratie directe, c’est le peuple en personne qui prend les décisions, et on peut considérer que c’est la forme la plus accomplie de la démocratie. Mais c’est aussi la plus difficile à pratiquer. Imagine que l’on veuille installer une démocratie directe au niveau d’une commune, donc sur un territoire assez petit et avec une population qui peut se limiter à quelques milliers de personnes, voire moins. Même dans ces conditions favorables, faire fonctionner une démocratie directe, cela veut dire que toutes les décisions importantes qui intéressent les citoyens de la commune doivent être prises par ces citoyens eux-mêmes. Il faut donc réunir régulièrement la population dans une assemblée, l’informer, la faire débattre et la faire décider. Pour cela, il faut un local assez grand (tu imagines ce que cela su

D’accord, mais… ça veut dire quoi, décider en mon nom ? Mon problème, c’est que la personne que j’ai élue ne va pas me demander mon avis sur les sujets qu’elle doit trancher.

Idéalement, c’est pourtant ça qu’elle devrait faire, si l’on veut que la démocratie représentative soit pleinement démocratique. Si on prend l’idée de démocratie au pied de la lettre, nos élus doivent agir au nom du peuple, ils doivent décider ce que le peuple aurait décidé s’il exerçait le pouvoir en personne. C’est le sens idéal que l’on donne à l’idée de « représentation » : une personne que j’ai choisie décide à ma place, mais de manière conforme à mes idées, à mes aspirations.

Donc, j’avais raison : en démocratie, mon élu doit me demander mon avis avant de décider avec d’autres élus, et il doit respecter ce que je lui ai demandé de faire !

Effectivement, ça paraît logique. Ce que tu proposes, c’est ce qu’on appelle le mandat impératif. C’est une pratique que l’on a abandonnée depuis deux siècles, mais que certains veulent réintroduire aujourd’hui, en y ajoutant un autre mécanisme : le droit de révocation des élus. L’idée est que les représentants que nous élisons devraient être liés par le mandat que nous leur confions, devraient recevoir une feuille de route, un programme qu’on leur impose, et devraient être obligés de respecter ce programme une fois élus. Avec la possibilité, pour les électeurs, de révoquer, de renvoyer leurs élus s’ils ne sont pas fidèles à leurs engagements. Parce qu’évidemment, s’ils n’ont pas peur d’être révoqués, nous ne pouvons pas être sûrs qu’ils vont tenir leurs promesses. Sur le papier, le mandat impératif est séduisant et très démocratique. Mais on ne le pratique plus aujourd’hui, tout simplement parce que ça ne marche pas.

Pourquoi ça ne marcherait pas ? Si j’ai bien compris, pendant les campagnes électorales, les candidats présentent chacun un programme et promettent de l’appliquer s’ils parviennent au pouvoir : on n’a qu’à leur imposer de respecter leurs promesses et les renvoyer s’ils ne le font pas !

En effet, ça paraît simple. Mais il y a une foule de candidats différents et, à l’échelle d’un pays, il y a des millions d’électeurs. Imagine les débats dans une assemblée élue, par exemple sur la question du climat. Tu auras forcément, dans l’assemblée, des élus qui se sont engagés à lutter contre le réchauffement climatique par tous les moyens, dont les électeurs en font une priorité absolue et qui veulent, par exemple, qu’on produise moins et qu’on consomme moins afin de moins polluer. Mais tu auras aussi des élus qui ne croient pas vraiment au réchauffement climatique, ou qui estiment que ce n’est pas notre mode de vie qui en est la cause : ceux-là veulent avant tout que l’économie reste prospère et qu’on n’impose pas de limites ou de contraintes au nom de la lutte contre le réchauffement. Et puis, tu auras différentes positions intermédiaires : des élus qui n’acceptent que des incitants fiscaux pour nous pousser à changer de comportement ; d’autres qui veulent tout miser sur les solutions technologiques

Dis, c’est quoi la démocratie ?
Coorebyter, Vincent de.
Éditions de la renaissance, 2020.

 

 

 

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