Compétitions
« L’idée, c’est de faire le maximum de mailles dans le temps imparti »
par l’organisateur du championnat du monde de vitesse de tricot, très concentré, en chemisette et cravate à pois.
Le monde est rempli de concours en tout genre. Du grand oral de l’ENA au lancer de savonnettes mouillées, en passant par le plus gros mangeur de Kouign-amann ou The Voice. Les candidats ne manquent jamais, les spectateurs non plus. L’idée de compétition me fascine autant qu’elle me questionne. Pourquoi vouloir être le premier, le plus rapide, le plus fort ? Que signifie courir le plus vite possible pour revenir exactement au même endroit ? Pourquoi sacrifier sa jeunesse dans du chlore dans le but de nager plus rapidement qu’un inconnu à l’autre bout du monde ?
Si l’on donnait une médaille au quatrième des Jeux olympiques, arrêterait-il de chialer ?
La compétition ne concerne pas que le sport. Elle est présente partout. Au point d’être devenue la vertu cardinale de la société moderne. Elle est omniprésente dans le monde de l’entreprise, bien évidemment, où il faut être performant, devenir l’employé du mois, obtenir les félicitations du manager. « C’est comme ça, c’est la loi », me répond-on dans les différents salons de l’emploi ou écoles de commerce. Une loi qui pousse donc chacun dans une lutte contre tous, y compris contre soi-même. Tel un hamster dans sa roue, chacun cavale le plus vite possible vers son futur burn-out.
La pratique de la compétition est même de plus en plus fréquente dans le domaine artistique. Pourtant, qu’y a-t-il de plus triste qu’un concours de peinture, de poésie, de sculpture, d’art en général ? Quels sont les critères pour juger qu’une œuvre est digne d’être classée au-dessus ou au-dessous d’une autre ? « Son adhésion auprès du public », me répond-on. Le public aurait donc toujours raison ? Mais quel sens cela pourrait-il avoir de comparer Bergman à Camping ? Et surtout, ne peut-on pas aimer les deux ?
Un des concours les plus stupides reste celui de Miss France. Outre son sexisme évident, quel est le sens des critères imposés ? « Plus de 1,70 m ». Ne peut-on pas être belle à 1,69 m ? Et pourquoi pas une limite à 1,71 m ? Et que signifie « être belle » ? Plutôt qu’un concours de beauté, cette cérémonie devrait se présenter comme un « Concours de qui correspondra le plus à des canons subjectifs destinés à plaire à Alain Delon et Jean-Pierre Pernaut ». On y perdrait en glamour mais on y gagnerait en honnêteté intellectuelle0.
« La compétition crée de l’émulation. Elle est nécessaire. C’est comme ça. C’est la concurrence des uns contre les autres », me réplique-t-on chaque fois que je questionne ce mode d’affrontements. Mais que d’énergie perdue à vouloir être le meilleur. Et surtout, quel dommage d’oublier le plaisir que l’on ressent en aidant quelqu’un plutôt qu’en lui marchant dessus pour le dépasser ou se sentir supérieur. « C’est Darwin ! La lutte pour la survie. Dans nos sociétés, c’est pareil », m’a répondu un trader ravi de son analogie tirée sans doute de « La théorie de l’évolution pour et par les nuls ». Car convoquer un immense chercheur, pervertir sa théorie, pour justifier le fait de rouler en Porsche et taper de la coke en spéculant sur la dette des pays pauvres, me fait toujours sourire.
« La compétition est là depuis la nuit des temps. » Bien évidemment. Le nier n’aurait aucun sens. C’est son omniprésence qui pose problème. Car si la compétition a toujours existé, la coopération aussi. Les exemples pullulent tant au sein des espèces qu’entre les espèces. Des échanges de sels minéraux entre les champignons et les arbres, aux pique-bœufs qui débarrassent les gnous de leurs parasites. Une simple observation de la nature, ainsi que de notre histoire, permet de comprendre que la survie de l’humanité doit plus à la solidarité qu’à la concurrence. Pour chasser un mammouth, Bernard le Cro-Magnon avait intérêt à compter sur la complicité de ses petits camarades, plutôt que de se la jouer solo. Encore aujourd’hui, un éditorialiste fustigeant le collectivisme au nom de la liberté individuelle est tout de même content que les pompiers payés par la collectivité viennent le relever après un accident de trottinette.
Alors pourquoi ne pas remettre au goût du jour ce qui nous a assuré la survie plutôt que de continuer à laisser la part belle à une lutte autodestructrice ? Pourquoi chercher sans arrêt à classer des individus ? « Parce qu’on est tous différents. » Certes. Mais une différence entraîne-t-elle une hiérarchie ? Quand on aura correctement répondu à cette question, peut-être arrêtera-t-on de jouer aux cons. Discipline dans laquelle nous sommes, pour l’instant, les champions incontestés de la biosphère.
Guillaume Meurice.
Les vraies gens.
Lattès, 2022.