Consumérisme
Consumérisme et conformisme
Rêvé par les uns, dépassé par les autres, c’est le standard de l’american way of life qui s’impose depuis des décennies en Occident et qui est en train de gagner le monde entier. Le consommateur moderne est extrêmement conformiste : il cherche à adopter le mode de vie qu’on lui propose avec les signes de reconnaissance sociale qui l’accompagnent. Son esprit critique est très faible, ses désirs sont mimétiques et se muent en envies : celles suggérées par la société et le matraquage publicitaire et bien souvent aussi médiatique (combien de fois les médias nous vantent les progrès technologiques et les avantages des nouveaux produits ?). L’ado rêve d’acquérir une paire de Nike à la mode, un iPhone ou la dernière console de jeux vidéo et l’adulte une grosse voiture, une montre tape-à-l’œil ou un sac à main de luxe. La célèbre réplique du publicitaire Jacques Seguéla – « À 50 ans, si on ne peut s’offrir une Rolex, c’est quand même qu’on a raté sa vie » – exprime parfaitement cette injonction à consommer pour exister… à nos propres yeux et à ceux des autres. Le marketing crée de nouveaux désirs et nous fait apparaître comme indispensables des objets dont l’humanité a très bien pu se passer pendant des millénaires. C’est ce qu’on appelle « la désirabilité » du produit. La rareté est l’une des clés essentielles pour rendre un produit désirable : c’est le secret du succès de l’industrie du luxe. Telle montre, telle voiture ou tel sac à main sont d’autant plus désirables qu’ils sont chers, produits en petite quantité et qu’il faut parfois des mois pour les obtenir.
Je consomme, donc je suis
Au cours des deux dernières décennies, la publicité a joué un peu moins ouvertement sur le registre de la comparaison sociale (à force d’être utilisée, la technique s’érode) et davantage sur la thématique, très en vogue, de l’authenticité et de l’accomplissement de soi. Rien de mieux pour rendre un produit désirable que d’affirmer qu’il nous permet d’être pleinement nous-mêmes, ou qu’il correspond parfaitement à ce que nous sommes. Discours absurde, puisqu’il s’adresse à des millions, voire à ces centaines de millions d’individus, qui sont tous différents. Mais peu importe le mensonge publicitaire : il récupère une aspiration profonde à être soi, à être fidèle à ses désirs les plus authentiques. On vend donc à des individus de la personnalisation, alors qu’il n’y a rien de plus impersonnel que le produit standardisé et marqueté d’une grande marque vendue dans le monde entier ! Il n’y a rien de plus conformiste que d’acheter un produit vanté par la publicité, mais le consommateur doit se persuader que sa décision d’achat est personnelle, qu’il achète un produit adapté à ce qu’il est, qui correspond à son désir le plus intime. Cela n’est rendu possible que par le mécanisme, déjà évoqué, du désir mimétique. C’est parce que je vois une personne (le plus souvent une star) à laquelle je m’identifie vanter les qualités de ce produit en affirmant qu’elle est ainsi pleinement elle-même, que je vais croire qu’il en sera de même pour moi. Mon désir – mon envie devrais-je mieux dire, tant le désir est ici appauvri – imite celui d’un modèle.
Perte d’esprit critique et appauvrissement
du désir
Conformisme, imitation, perte d’esprit critique, appauvrissement du désir : la société de consommation produit une dépersonnalisation croissante qui a de quoi inquiéter. Elle tente évidemment de la masquer par un discours trompeur sur la liberté de choix et l’accomplissement de soi, mais elle réduit en fait les individus à l’état de consommateurs abrutis, esclaves des impulsions de leur cerveau primaire et de leurs envies mimétiques. L’idéologie néolibérale, qui porte le système consumériste, nous promet la liberté et le bonheur, alors que ce système est source de servilité et de frustration. Nous sommes dressés, soumis, manipulés dans nos désirs… et perpétuellement insatisfaits.
Pour en sortir, il s’agit de quitter les impératifs catégoriques de nos sociétés, qui associent le bonheur à la réussite sociale et à la seule jouissance des biens matériels ; il convient de renforcer notre discernement et notre esprit critique ; et surtout d’apprendre à nous reconnecter à nos désirs profonds, réellement personnels, et à l’élan vital qui les porte. C’est ce que nous verrons dans la troisième partie. Mais il faut encore porter notre attention sur un point préoccupant : la manière dont le désir des enfants et des adolescents est manipulé, à travers, notamment, les réseaux sociaux.
Frédéric Lenoir.
Le désir, une philosophie.
Flammarion, 2022.