Signifiant et signifié
Les mots…
La dissociation radicale entre le signifiant et le signifié est l’un des signes du nihilisme contemporain : quand ils deviennent étrangers l’un à l’autre, nous évoluons sans erreur possible dans le règne de l’autisme et de la verbigération pour elle-même. Quand la chose dite n’entretient plus aucune relation avec le mot qui dit cette chose, alors le langage est mort.
Le triomphe de ce babélisme place les humains en dessous des animaux, car ceux-ci disposent d’un langage qui articule signifiant et signifié – cri de peur, cri de frai, cri de parade, cri de guerre, cri tribal, cri de domination, cri de soumission, cri de territoire, etc. Il n’existe chez aucun d’eux un cri dépourvu de sens ; chez nous, il y en a pléthore…
Il existe également un langage des plantes qui communiquent par l’éthanol, afin de transmettre des informations à leurs congénères : un danger pour leur vie par exemple, ce qui, de la part des végétaux, suppose donc la mémoire d’un passé toxique et la crainte qu’il ne devienne un présent dangereux pour leur futur. Conscience, mémoire, souvenir du passé, capacité à se projeter dans l’avenir, volonté de construire un présent, articulation d’un franc langage avec signifiant et signifié : il semble qu’un chêne dispose parfois de plus de vertus que tel ou tel humain…
Orwell a montré combien il entre dans le projet d’un régime totalitaire de travailler à la destruction du langage : quand signifiant et signifié se trouvent définitivement séparés, que l’orthographe est devenue facultative après avoir été dite la science des ânes, que la grammaire passe pour réactionnaire, le style pour dépassé ou signe d’affectation, la syntaxe une vieille lune, l’écriture inclusive la panacée prétendument progressiste, la conjugaison antédiluvienne, la pensée, le raisonnement, l’argumentation, la démonstration ne sont plus du tout possibles.
Qui niera que nous n’y sommes pas ?
Nombre de mots sont devenus des coquilles vides faciles à remplir avec tout et n’importe quoi. Pour en rester au domaine politique : pétainiste, maurassien, vichyste, antisémite, fasciste, nazi, extrême droite, stalinien ne veulent plus rien dire tant ces syntagmes sont utilisés comme des insultes sans souci de la sémantique véritable…
Comment en est-on arrivé là ?
L’effondrement de l’Éducation nationale n’y est pas pour rien, bien sûr. Quand on n’apprend plus l’Histoire à l’école, comment pourrait-on savoir ce que chacun de ces mots recouvre et signifie ? Pour saisir leur sens véritable, il faudrait connaître la vie et l’œuvre de Philippe Pétain et de Charles Maurras, ce qu’a été le régime de Vichy, ce qui a distingué le maréchalisme du pétainisme et du vichysme, ce qu’est l’histoire de l’antisémitisme depuis la vindicte chrétienne contre le peuple dit déicide des premiers siècles du christianisme jusqu’aux antisionistes de l’islamo-gauchisme contemporain, en passant par l’antisémitisme de la gauche anticapitaliste au siècle de la révolution industrielle, mais également celui du IIIe Reich national-socialiste. Faute de connaître toutes ces références, ces mots flottent dans l’air vicié comme autant de signifiants sans signifiés.
À l’impéritie de l’école doublée de celle des familles et de l’anti-éducation proposée par les médias et les réseaux sociaux, j’ajoute la distorsion d’un travail idéologique qui préempte ces mots chargés de sens historique, mais vidés par ceux qui ont intérêt à réécrire l’Histoire en leur faveur pour les remplir de contenus fautifs.
L’art d’être français.
Michel Onfray.
Bouquin, 2021.