Extraits philosophiques

Percutant

Notre maison en cendres

C’est Le Temps qui publie le texte de George Sand, écologiste avant l’heure. Certains extraits de ce texte résonnent aujourd’hui plus que jamais. « La planète est encore assez vaste et assez riche pour le nombre de ses habitants ; mais il y a un grand péril en la demeure, c’est que les appétits de l’homme sont devenus des besoins impérieux que rien n’enchaîne, et que si ces besoins ne s’imposent pas, dans un temps donné, une certaine limite, il n’y aura plus de proportion entre la demande de l’homme et la production de la planète. »
Et plus loin : « Si on n’y prend garde, l’arbre disparaîtra et la fin de la planète viendra par dessèchement, sans cataclysme nécessaire, par la faute de l’homme. N’en riez pas, ceux qui ont étudié la question n’y songent pas sans épouvante. »
L’épouvante.

2002. Nous sommes plus d’un siècle après. Un autre grand discours climatique est prononcé avec le ton de ceux qui savent qu’ils vont marquer l’histoire. Jacques Chirac donne naissance à son célèbre « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Je n’ai pas cinq ans quand ce discours est prononcé, face caméra. Il ne m’en reste aucun souvenir, sinon l’impression diffuse d’avoir toujours grandi avec, tant il était cité, répété, étiré et ses images diffusées.
Qu’avons-nous fait depuis ? Depuis 1872 et depuis 2002. Depuis qu’ils savent, depuis qu’ils avouent savoir.
Rien. Sauf le capitalisme qui de « notre maison brûle » a fait des mugs, des mèmes et des T-shirts. La forêt, elle, n’a cessé d’être coupée, d’être brûlée. Nous noterons tout de même que grâce à la mobilisation des artistes et des écologistes de l’époque, la forêt de Barbizon fut le premier espace naturel protégé au monde, avant le parc de Yellowstone aux États-Unis. L’activisme détenait des résultats, déjà.
À l’été 2022, nous avons tristement appris le dépassement du point de bascule de la forêt amazonienne. Parce qu’elle brûle et qu’on la vide de ses arbres, elle émet officiellement plus de CO2 qu’elle n’en absorbe par la photosynthèse.

Le « poumon de la planète » a chopé le cancer. Quelques cancérologues en blouse blanche avaient tenté de nous prévenir, mais les vendeurs de cigarettes sont parvenus à nous faire croire qu’elle était là, notre liberté ; qu’elle prenait corps dans cette fumée qui remplissait tout, jusqu’à nos prestances vides. Ça avait de l’allure de cloper, sur-consommer. On se laisse tuer par le petit feu de l’inutile, sans besoin d’attendre le grand incendie.

Depuis plus de deux décennies, l’apathie réduit en cendres nos murs et notre monde. Cette apathie, je veux désormais la comprendre. La maison ne s’est pas enflammée d’elle-même. Quelqu’un ou quelques-uns ont déclenché l’incendie.
Qui sont-ils ? Comment éteindre les flammes ? Comment arrêter les pyromanes ? Ceux de notre époque ont ceci de différent, par rapport aux années 2000 de Jacques Chirac, qu’ils ne sont plus sceptiques – nier l’existence du dérèglement climatique, c’est devenu has been. Mieux, ils sont cyniques : ils ne s’efforcent même plus désormais de regarder ailleurs. Tant pis pour la décence. Ils ne s’encombrent d’aucuns bons sentiments mais se drapent d’acronymes empruntés à la croissance « verte ». Qui n’a d’ailleurs de vert que la couleur du dollar, son horizon.
« Notre maison brûle » depuis cinq décennies. Nous grandissons dans ses murs qui s’effritent autant que l’expression, devenue obsolète et anachronique. Le temps est à une autre métaphore. Des pyromanes s’amusent à déclencher des feux au pied de nos portes, pour voir dans les flammes l’intensité qui manque dans leurs yeux. Pour se réchauffer, pendant que les autres crèvent de froid.
Nos murs tombent en cendres. Et on regarde tout cramer depuis la fenêtre qui reste encore debout. Impuissants, car nous leur avons déjà hypothéqué nos maisons, et nous leur payons le loyer depuis le jour où ils ont accaparé nos terres.
À mesure que leurs mains se réchauffent, des doigts s’engourdissent pour construire leurs maisons à eux, qui jamais ne brûlent, et qu’ils n’habitent qu’un week-end sur deux.

Camille Etienne.
Pour un soulèvement écologique.
Seuil, 2023.

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