
Monstre
UNE PAGE BLANCHE
Il y a un très beau roman de Simenon, Les Anneaux de Bicêtre.
L’histoire d’un homme pressé qui, en apparence, a tout réussi. Chaque mois, il déjeune au Grand Véfour avec ses amis, un académicien, un avocat, un médecin renommé. Un jour, il est foudroyé par une hémiplégie. Il se réveille à l’hôpital et là, peut-être pour la première fois, il découvre le silence.
C’est une immense étendue d’eau calme, où la moindre petite pierre fait naître une onde concentrique, progressive, qui vient à peine troubler la surface.
Une paix.
Et sur cette longue plage de silence, il réapprend à vivre.
À devenir disponible.
À lui-même et aux autres.
C’est cet espace intérieur qui a toujours intéressé Simenon.
Cette région silencieuse, au-delà des mots, ce territoire très particulier, paisible, où évolue Maigret, qui lui procure cette écoute profonde et ce regard unique. Qui lui permet de devenir une page blanche où accueillir les mots des autres.
Dans cette société, les bruits et les cris viennent sans cesse barbouiller nos pages de leur merde incessante.
Il n’y a plus de quant-à-soi.
Il est difficile de se mettre en jachère.
On est trop troublés, jamais tranquilles.
On est assommés, sans recours.
L’espoir vient à manquer, les confiances se ferment.
Tout le monde est sur la défensive.
Plus personne ne peut nous parler, encore moins nous murmurer quoi que ce soit.
Une machine infernale nous coupe tout désir, elle nous anesthésie l’âme.
Elle casse tout.
L’innocence devient difficile à tenir.
Et c’est très dangereux, parce que quand il n’y a plus d’innocence, c’est comme si on était déjà mort.
L’enfance, c’est ce qui fait rêver, désirer.
Quand on est enfant, on ne fait que ça.
L’enfance, c’est fragile, ça a besoin d’aide, d’affection, d’appui.
Quand tout hurle et tout brûle autour de nous, elle est la première à s’enfuir.
Et avec elle, toute la beauté poignante des choses fragiles.
Gérard Depardieu.
Monstre.
Le Cherche Midi, 2017.

