Des contes et des hommes

Le roi midas

La légende du roi Midas.

Midas était roi de Phrygie. C’était un bon vivant. Il festoyait parfois avec Dionysos, dieu de la Vigne et du délire, qu’il aimait d’amitié joyeuse. C’était au temps où les Immortels venaient parfois dîner chez les gens de la Terre.

Un jour, les gardes du palais trouvèrent sous la treille du roi un vagabond à la trogne avinée, aux sourcils broussailleux, au front couronné de grappes de raisin. Le bougre sommeillait, la panse répandue, aussi insouciant qu’un ours au paradis. A grands coups de pique ferrée il fut mené devant Midas. Le roi reconnut aussitôt ce paillard.

C’était Silène, sage parmi les fous et fou parmi les sages, ivrogne majuscule et fraternel ami de Dionysos. Midas, confus de voir qu’on l’avait quelque peu malmené, lui offrit un manteau des penderies royales, le parfuma de pied en cap et lui fit l’honneur d’un festin magnifique. Huit jours durant on s’empiffra. on but et l’on chanta.

Au neuvième matin le roi et ses convives en troupe titubante ramenèrent Silène affalé sur un âne à Dionysos, qui s’inquiétait beaucoup de ce vieux compagnon. Depuis une semaine, sur son char d’or tiré par quarante tigres il courait les routes à sa recherche. Il se réjouit de le voir revenu. Il embrassa Midas.

Mon ami, lui dit il, tu es bon. Tu as su traiter Silène comme un frère. Pour t’en remercier, il me plaît de satisfaire ton désir le plus cher. Parle donc, je t’écoute.

Midas lui répondit en agitant les doigts devant ses yeux luisants :
J’aimerais que tout ce que je toucherai, désormais, devienne d’or.

Dionysos, la bouche ouverte au ciel, éclata d’un rire tonitruant. Ce que tu veux sera, dit il. Que tes mains soient fertiles, homme imprudent!

Midas revint chez lui, débordant de bonheur et bouillonnant d’envies rares. Il gravit l’escalier de son palais. Il poussa le portail qui aussitôt étincela : il était de bois, il fut d’or. Il courut à ses appartements, écarta un rideau devant une fenêtre. Il le vit à l’instant tissé de fils d’or. Il se mit à danser. La tête renversée, il saisit une mouche. Un grain d’or lui roula au creux de la main. Il le baisa, rieur, et le jeta à ses gens.

J’ai faim ! dit il. Un repas lui fut servi sur l’heure. Il prit un bout de pain. Il était d’or quand il parvint à sa bouche. Il en fut surpris. Il ordonna que l’on noue sa serviette autour de son cou et qu’on le nourrisse comme on donne la becquée aux enfants. Il tendit ses lèvres avides au serviteur courbé sur son assiette d’or. A peine eut il mordu dans sa galette qu’il eut de l’or entre les dents. Il le cracha, gémit :

Je vais mourir de faim, malheur, je me sens déjà maigre. Au secours, Dionysos: Je t’offre mon palais pour un fromage et un cruchon de vin: L’énorme rire du dieu résonna sous les plafonds voûtés. Midas se dressa, effaré. Il entendit ces mots: Seule l’eau du Pactole peut te débarrasser de ton pouvoir. Va te laver ou n’y va pas, vis ou meurs, Midas, que m’importe ?

Midas galopa jusqu’au fleuve. Il s’y plongea, s’y lava longtemps et put enfin manger quelques oignons que lu offrit un berger sur l’herbe de la rive. Après la frayeur qu’il avait eue, il lui sembla renaître. Assis à l’ombre d’un chêne il se prit à rêver aux beautés de la vie rustique. L’or, il le haïssait désormais. La fortune ? « A quoi bon ? » se dit il.

Dans le pré devant lui il vit venir un être à la barbe folâtre, aux pieds de chèvre, à chevelure cornue. Il jouait de la flûte. Son chant était joyeux mais faux et criaillant. Midas le reconnut. C’était Pan, dieu des Ruisseaux et des Bois. Il pensa : « Voilà bien l’Immortel le plus simple et le plus doux qui soit. Désormais, c’est sa seule amitié que je veux cultiver. »

Il s’approcha de lui. Il lui dit :
Ton chant est admirable.
L’autre lui fit un sourire tordu, s’escrima de plus belle. Sa flûte bavarda soudain comme une pie râleuse.
Quelle subtilité! dit encore Midas. En vérité tu joues mieux qu’Apollon.

Apollon, dieu des Arts, entendit ces mots de son balcon céleste. Il en eut aussitôt une aigreur dans le nez. Il se laissa glisser sur un rayon de soleil, apparut dans le pré devant Midas.

Tu trouves ? lui dit il la mine pincée. Je crois que ton ouïe manque un peu de finesse. Il effleura sa tête d’un index négligent et dit encore :

Ainsi elle sera meilleure. Il s’effaça dans l’air tandis que Midas, les mains affolées découvrait contre ses tempes deux oreilles velues, étrangement mobiles, terriblement longues.

Misère, gémit il, j’ai des oreilles d’âne! Tenant son manteau sur le crâne, courbé comme sous une averse il s’en revint chez lui, se coiffa d’un turban pointu, se regarda dans un plateau d’argent. Il se trouva grotesque. Il caressa sa nuque. Ses doigts s’égarèrent dans un fouillis de poils raides, piquants et drus. Il manquait à son échine la crinière de l’âne. Il la sentit pousser.

Comme on crie : « Je me noie! » il hurla : Mon barbier! Le barbier vint. Midas s’enferma avec lui dans sa chambre. Il ôta sa coiffure. L’autre, pantois, poussa un long sifflement frêle. Tu me trahis, tu meurs, lui dit Midas. C’est clair ?

C’est parfaitement clair, répondit le bonhomme.

Maintenant, rase moi. L’autre fit son ouvrage. Ces sortes de secrets sont les plus lourds du monde. Le barbier porta le sien trois jours. Au matin du quatrième, quitte à mourir après. il fallut qu’il le dise. Il se prit par la main et se mena dehors. Il marcha jusqu’au fleuve. Parmi les hautes herbes il tomba à genoux devant une touffe de roseaux.

Il murmura : Le roi Midas a des oreilles d’âne. Voilà, j’ai parlé. Salut. Je me sens beaucoup mieux. Le vent vint aux nouvelles.

Il souffla : Qu’a t il dit ? Les roseaux répondirent : Le roi Midas a des oreilles d’âne. Les arbres répétèrent : Hé buissons, il paraît que Midas a des oreilles d’âne. Et les buissons bruissèrent :

Etrange, en vérité.

Midas ? dit une fille. Elle éclata de rire. Le secret s’envola, et le voici posé dans tes oreilles fines. Si tu rêves trop haut, prends garde qu’elles poussent.

Henri Gougaud.
L’arbre d’amour et de sagesse.
Seuil, 1992.

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